Pour une République lucide. La tyrannie des minorités. La moindre revendication individuelle devient idéologie
Comment faire République quand chacun se définit d’abord comme Baoulé, Bété, Dioula, et non comme citoyen ? Comment bâtir un destin commun quand toute parole est aussitôt étiquetée : PDCI, PPA-CI, RHDP ou FPI, comme si exprimer une pensée équivalait à afficher un parti ?
Aujourd’hui, chaque revendication individuelle devient idéologique. Être mère célibataire suffirait à se dire féministe, oubliant qu’un père célibataire ou même un homme marié peut aussi incarner cette lutte. On méprise l’école, tout en rêvant de richesse et de succès. On célèbre ceux qui parlent mal, comme si cela prouvait une forme d’authenticité populaire. Non : c’est une dérive.
Pendant ce temps, les vrais combats nous échappent : la pauvreté persistante, l’avenir des enseignants, l’exclusion silencieuse de ceux qui n’ont pas accès aux droits fondamentaux. La démocratie, si elle ne s’encadre pas de principes, glisse vers la tyrannie de la majorité. Et dans le même temps, penser autrement devient, à tort, une vérité en soi. La minorité qui pense n’être pas entendue s’érige en autorité morale : c’est la tyrannie des minorités.
Cette tendance n’est pas nouvelle.
On se souvient de Laurent Gbagbo, qui, à la suite de Bailly Spinto, lançait fièrement : « Je suis fils de pauvre ». Ce cri, porteur d’un passé, d’une souffrance réelle, est devenu une sorte de légitimité politique, comme si la pauvreté seule conférait une supériorité morale. Mais que fait-on ensuite ? On reste dans l’identité ou on construit pour ceux qui viennent après ?
Hier, certains disaient : « Nous du Nord, nous sommes marginalisés. » Puis : « Nous qui n’avons pas été à l’école, on ne nous comprend pas. » Aujourd’hui, cela devient : « C’est notre manière de parler, de penser, de vivre, et c’est non négociable. ». A la récente Can cela a été: « On n’vaut rien, mais on est qualifié! « . En octobre 2025, ce sera : « On n’vaut rien, mais on est élu« . Valable toutes les chapelles politiques. Or ce n’est plus une revendication : c’est une injonction à accepter la médiocrité comme norme.
D’autre part, des figures médiatiques comme Apoutchou ou Hamon Chic et bien d’autres prennent le micro pour revendiquer fièrement une langue malmenée. Une pensée désarticulée, comme si cela devait suffire à faire autorité. *« Je vais me blesser » au lieu de « je vais faire une faute », et cela devient folklore, modèle, fierté.
Célibataire avec enfant, fils de pauvre, analphabète… La République ne doit pas exclure ces réalités, mais elle ne peut pas en faire des titres de gloire. Elle doit les comprendre, les intégrer, mais surtout les élever. Car la République n’est pas un miroir, elle est une promesse.
Nous avons besoin d’une République lucide, qui refuse les replis identitaires, linguistiques, politiques ou sociaux. Une République qui ne célèbre pas l’ignorance, mais qui donne à chacun les moyens d’en sortir. Une République qui ne cède ni à la majorité tyrannique, ni aux minorités bruyantes. Mais qui cherche inlassablement ce qui nous unit.
Cette République des extrêmes, désarticulée, n’est-elle pas aussi un échec patent de 3 décennies de gouvernance ?!
ALEX KIPRE
photo:dr
POUVOIRS MAG