Alors que la Côte d’Ivoire se veut pôle de stabilité économique en Afrique de l’Ouest, son nord reste traversé par des incertitudes. Entre insécurité transfrontalière, tensions communautaires et défis diplomatiques.
La zone frontalière interroge la capacité de l’État à conjuguer développement et sécurité durable.
Au cœur du nord ivoirien, les paysages de savane cachent mal les fractures d’un territoire où se croisent espoirs et inquiétudes. Loin du tumulte d’Abidjan et des chantiers de modernisation, les régions frontalières du Bounkani, du Tchologo ou du Poro rappellent combien la stabilité d’un pays se mesure aussi à sa périphérie.
L’instabilité qui s’y installe progressivement n’est pas le fruit du hasard. Elle résulte d’un ensemble de facteurs entremêlés : circulation d’armes, trafics illicites, mouvements de populations et porosité des frontières. À cela s’ajoutent les répercussions des crises sécuritaires des pays voisins, notamment du Burkina Faso, où la progression des groupes armés a bouleversé les équilibres régionaux.
Dans ces zones, les populations vivent au rythme de la prudence. Les routes commerciales sont parfois désertées, les échanges transfrontaliers ralentis, et les activités économiques — de l’agriculture à l’élevage — fragilisées. Le sentiment d’abandon gagne du terrain. Beaucoup de communautés se sentent éloignées des priorités de l’État central et se tournent vers des formes d’organisation locales, parfois communautaires, pour assurer leur propre sécurité.
Une frontière qui ne sépare plus, mais relie les insécurités
La frontière nord, autrefois espace d’échanges et de complémentarité, devient peu à peu une zone grise, traversée par des réseaux informels.
Les trafics de bétail, d’or ou de carburant alimentent des circuits économiques parallèles qui échappent en partie au contrôle étatique.
Ces flux, souvent tolérés par nécessité, nourrissent indirectement les réseaux criminels et menacent la stabilité du pays.
Face à ce défi, Abidjan renforce sa présence militaire et mise sur la coopération régionale. Mais la question demeure : comment pacifier durablement une zone où la pauvreté, le chômage et l’absence d’infrastructures alimentent le désespoir ?
Car là où l’école ferme, la rumeur prend la place du savoir, et là où l’administration se retire, d’autres influences s’imposent — qu’elles soient religieuses, idéologiques ou économiques.
Le dilemme ivoirien : croissance au sud, fragilité au nord
La Côte d’Ivoire se présente comme l’un des moteurs économiques du continent, avec un taux de croissance solide et une capitale en pleine mutation.
Pourtant, cette prospérité peine encore à irriguer le nord du pays.
Les disparités régionales, bien qu’atténuées ces dernières années par plusieurs programmes de développement, restent visibles.
Elles nourrissent un ressentiment latent, une impression d’injustice territoriale que les acteurs politiques et les groupes extrémistes exploitent habilement.
Cette tension entre un sud prospère et un nord vulnérable soulève une question cruciale : le développement économique peut-il durablement consolider la paix s’il reste inégalement réparti ?
Les routes, les écoles, les dispensaires et les marchés sont des boucliers autant que des symboles. Là où l’État construit, l’extrémisme recule. Là où il tarde, la défiance s’installe.
La situation au nord ivoirien ne peut être comprise sans évoquer la complexité des relations régionales.
Les transitions politiques répétées au Mali et au Burkina Faso ont affaibli les cadres de coopération sécuritaire. Et les nouvelles orientations des juntes militaires rendent les échanges diplomatiques plus délicats.
Entre méfiance politique et nécessité stratégique, la Côte d’Ivoire tente de maintenir le dialogue tout en protégeant ses intérêts.
FATEM CAMARA
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE
