Née dans le silence, entre deux pays et deux absences, Ouédraogo Adjaratou a trouvé refuge dans la peinture dès l’enfance. Longtemps caché, son art est devenu langage, pont, et guérison.

Aujourd’hui, elle transforme la rue en atelier ouvert, offre ses toiles aux passants et redonne, par la couleur, voix aux invisibles
Il est des âmes qui naissent dans le silence, des cœurs qui battent en sourdine, repliés sur eux-mêmes, non pas par choix mais par nécessité — celle de survivre. Ouédraogo Adjaratou, enfant solitaire, née d’une mère togolaise absente et d’un père burkinabè, a grandi dans le mutisme comme on porte une armure invisible. Elle ne parlait à personne, ni à l’école, ni à la maison. Taciturne, presque invisible, elle dessinait en cachette dès l’âge de huit ans. Pour elle seule. Comme une prière murmurée à l’ombre du monde.
“S’il n’y avait pas la peinture, je ne sais pas ce que je serais devenue.”Cette phrase claque comme une déclaration de survie. La peinture, pour Adjaratou, n’est pas une passion, c’est une nécessité, un cri muet devenu couleur. C’est sa voix. Son remède. Son combat.
Et pourtant, rien ne la prédestinait à l’art. Elle a poursuivi des études de comptabilité, obtenu un Bac G2, envisagé un avenir d’architecte. Mais les chiffres ne comblent pas les vides affectifs. Alors, en secret, elle peignait. Pendant dix ans, elle a caché ses toiles, comme on cache un journal intime. Farouchement. L’art n’était pas une vitrine : c’était sa vie qu’elle déposait sur la toile. Des douleurs enfouies, des espoirs tus, des rêves étouffés.
Personne ne l’a vue venir. L’art, elle l’a rencontré sans l’avoir cherché. Et il l’a sauvée.
C’est un galeriste, fasciné par cette centaine de toiles silencieusement entassées, qui l’a traquée. Jusqu’à ce qu’elle cède, en 2007. Lors de sa première exposition, elle vend toutes ses œuvres. Plus de quarante toiles, emportées d’un coup. Et là, l’évidence jaillit : on peut vivre de l’art. Mais surtout, on peut faire vivre les autres par l’art.
Son modèle ? Watt, l’artiste rebelle. Son projet phare ? « Ma ville en peinture », une exposition vivante, mouvante, ouverte. Dans une rue, sur un mur, sous le ciel. Elle tend ses toiles comme on tend une main. Les passants s’arrêtent, les enfants dessinent, les inconnus deviennent artistes, l’espace devient poème.
Refusée par la mairie de Marcory, puis par celle de Cocody, elle n’a pas cédé. Elle s’est installée là où l’on ne l’attendait pas : sur un petit espace jouxtant l’église Saint-Jacques. Sans sponsor. Sans bruit. Mais avec un cœur vaste comme le monde. Depuis trois jours, elle y accueille tout le monde. Elle sourit à tous ses bénévoles.
Ce sont des œuvres nées de mains étrangères qu’elle vendra plus tard. Et avec les bénéfices, elle aidera d’autres inconnus. Parce qu’Adjaratou n’est pas seulement une artiste. Elle est une passeuse d’humanité.
Elle a reçu la visite de plusieurs professionels Koffi Célestin, d’amateurs d’art, de curieux, de rêveurs.
Mais ce qu’elle offre va bien au-delà d’une toile.
Elle offre un refuge. Une voix pour les muets. Un espoir pour les invisibles.
Ouédraogo Adjaratou, c’est l’art comme renaissance, la peinture comme don, l’ombre transfigurée en lumière.
AK
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE