Une volonté : briser un silence ancien sur les crimes commis par des hommes en soutane ou en habit.
Dans un contexte où la parole peine à émerger, l’Église ivoirienne prend timidement conscience de ses propres ombres historiques.
C’est au sein de l’Institut catholique missionnaire d’Abidjan, que des enseignements à destination de religieux et de laïcs sont dispensés. Il s’agit de faire face aux potentiels cas de violences
Depuis 2018, plus de 600 personnes ont été formées, incluant prêtres, religieuses, policiers et éducateurs sportifs de tout le pays.
La formation ne délivre pas seulement des certificats, elle impose une confrontation directe avec la réalité psychologique de l’agression.
Des criminologues, policiers et psychologues interviennent afin d’aiguiser les instincts de prévention chez ceux en contact avec les vulnérables.
Les intervenants insistent : un sourire d’enfant ou une déclaration d’amour d’adolescente n’est jamais une autorisation implicite à transgresser.
Ce qu’on appelle « confusion des langages » peut transformer un geste d’affection en justification d’un acte condamnable et destructeur.
« On est beaux en soutane », ironise une religieuse, pour rappeler que le statut sacerdotal crée des malentendus affectifs et sexuels.
Un jeune prêtre, incapable d’aider une victime d’inceste, confie son désarroi face à la douleur psychique qu’il ne comprend pas.
Une sœur, anonymement, dit vouloir aller au-delà des documentaires pour saisir la mécanique des scandales sexuels dans l’Église.
La question du père Benat Segur, accusé d’abus dans les années 1990, surgit comme une ombre qui dérange sans vraiment s’installer.
« Y a-t-il des frères Bétharram ici ? » demande une formatrice. Le silence qui suit en dit long sur l’évitement collectif.
Un séminariste finit par répondre, affirmant que l’affaire n’est pas discutée dans la congrégation, ni même durant cette session.
C’est peut-être là que réside la limite du processus : comment prévenir sans assumer pleinement les erreurs du passé récent ?
L’Église peut-elle construire une protection efficace sans d’abord accepter d’ouvrir les plaies que le clergé préfère souvent dissimuler ?
Le centre met l’accent sur l’identification des signaux faibles : un changement de comportement, un silence inhabituel, un regard fuyant.
Le but n’est pas d’espionner les fidèles, mais de repérer ceux qu’un geste ou une confidence pourrait sauver du pire.
Les prêtres sont avertis : la justice civile, comme la justice canonique, peut les sanctionner sévèrement s’ils deviennent agresseurs.
La formation ne néglige pas les abus d’autorité ou financiers, fréquents aussi chez les pasteurs et les prêtres influents dans le pays.
Car l’emprise ne se limite pas à la sexualité ; elle s’exerce aussi à travers le pouvoir, la parole ou l’argent.
Les chiffres rappellent l’urgence : une femme sur cinq a été victime de violences sexuelles avant 18 ans, selon une enquête gouvernementale.
Dans un pays où l’influence religieuse reste immense, l’Église se doit d’offrir autre chose que des prières ou des aveux tardifs.
C’est pourquoi les futurs prêtres sont confrontés à des cas pratiques, pour apprendre à agir avant que l’irréparable ne survienne.
Le recteur Kolani insiste : « Notre objectif, c’est que chaque élève devienne un repère, un protecteur, pas une menace silencieuse ».
Si ce programme s’étendait à toutes les institutions, peut-être que les scandales cesseraient d’être une fatalité honteuse mais prévisible.
ETHAN GNOGBO
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE