Tout se passe comme si le cas Valérie Yapo, au départ perçu comme une dissidence interne au PDCI-RDA, servait désormais de levier politique pour peser sur Tidjane Thiam.
Derrière les envolées juridiques, les déclarations indignées et les batailles de légitimité, c’est une mécanique plus vaste qui semble à l’œuvre. Et dans laquelle le RHDP — sans jamais apparaître officiellement — paraît tirer quelques ficelles.
Car enfin, Thiam est à l’étranger, certes. Mais son ombre plane sur le jeu politique. Il hante les salons feutrés du pouvoir d’Abidjan, suscite un vif intérêt dans les cercles diplomatiques. Il incarne l’espoir d’une élite technocratique, moderne, post-ethnique. Il est aussi, faut-il le rappeler, sans lien historique ni affectif avec le RDR. D’où une certaine crainte chez ceux qui avaient l’habitude de contrôler le jeu de succession à travers des réseaux établis.
L’inconnu apparaissant comme insaisissable, on le perçoit et traite comme une menace existentielle. Il a donc fallu concevoir et rendre opérationnel tout un mécanisme d’enrayement de sa montée pour le neutraliser. Avant qu’il ne soit trop tard. Le curseur semble avoir été positionné à un niveau tel que la Cour constitutionnelle ne voit même pas la couleur de son dossier. D’où une pression puissante, indirecte mais efficace — du moins jusqu’à présent.
Figure émergente mais encore fragile dans l’échiquier ivoirien.
La stratégie semble habile : exploiter une faille interne du PDCI pour y inoculer une substance toxique. Semer le doute, la division, voire la déconstruction. La démarche judiciaire de Valérie Yapo — isolée mais bruyante — offre une brèche idéale. Elle agit comme une épine dans le pied de Thiam. L’empêchant d’avoir les coudées franches et fragilisant son autorité auprès d’un parti qu’il n’a pas encore totalement domestiqué.
L’affaire prend alors une tournure moins juridique que politique. La justice ivoirienne, en s’invitant ostensiblement dans un différend partisan, semble sortir de sa stricte neutralité. Loin d’être une simple affaire de retour aux droits d’un membre exclu, le contentieux devient une mise à l’épreuve de l’autorité de Thiam. Et, plus largement, du PDCI en reconstruction.
Beaucoup évoquent la prophétie d’Houphouët-Boigny, qui aurait vu en Tidjane Thiam un héritier spirituel, un futur président. Ces mots, souvent cités à mi-voix, trouvent aujourd’hui un écho chez les nostalgiques d’un PDCI fort et central. Mais cette vision n’est pas partagée partout. Ni par tous. Certaines forces, internes comme externes, craignent l’avènement d’un pouvoir qui leur échapperait. Pour elles, le PDCI sous Thiam représenterait un recentrage dangereux du jeu politique ivoirien.
À qui parle Valérie Yapo ?
Lorsque Valérie Yapo, sa rivale s’adresse « aux militants », à qui parle-t-elle vraiment ? Son message, de moins en moins politique et de plus en plus personnel, n’a reçu de soutien public que de son avocat. Son isolement suggère qu’on instrumentalise son combat. Peut-être n’est-elle plus que le masque grimaçant d’un message plus large, adressé non au PDCI mais à Thiam lui-même. « Tu n’es pas intouchable. »
Il y a fort à parier qu’une nouvelle affaire surgira bientôt : un nouveau prétexte, un nouveau scandale pour alimenter la fragilité apparente de son leadership. Mais cela ne prendra pas, car le public commence à comprendre la mécanique sous-jacente : affaiblir Thiam avant même qu’il ne se renforce.
Dans un pays où la loi s’efface souvent devant la volonté présidentielle, les arbitrages se font à la Présidence. Ni le PPA-CI ni le PDCI ne sont finis, et le RHDP, vigilant, le sait. À l’approche des échéances, les pressions se feront plus fortes. Notamment sur la liste électorale. Aucun parti d’opposition ne peut être écarté sans conséquences. Mais tout peut être organisé pour les déséquilibrer.
Tidjane Thiam, sans base historique dans le RDR ni dette politique envers l’actuel pouvoir, est un homme à surveiller, à tester, à contenir, voire à neutraliser. Et Valérie Yapo, qu’elle le sache ou non, sert ce projet-là. Un combat qu’elle pense mener au nom de principes, mais qui pourrait bien n’être qu’une manœuvre plus vaste, où elle n’est qu’un pion.
ALEX KIPRE
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE