Chaque 11 mai, le monde entier rend hommage à Bob Marley, icône planétaire du reggae et prophète de la contestation musicale.
BOB est décédé en 1981. Cette date est devenue une sorte de rituel symbolique pour tous les amoureux de reggae, de justice sociale et de liberté d’expression. Mais que reste-t-il aujourd’hui de cet esprit rebelle dans les sphères artistiques. Notamment en Côte d’Ivoire, patrie d’un reggae fort et longtemps engagé ?
En Côte d’Ivoire, plusieurs noms viennent spontanément à l’esprit quand on parle de reggae. Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly, Tangara Speed Ghoda, Kajeem, Fadal Dey… Tous, à un moment ou à un autre, ont incarné une forme de contre-pouvoir. Ont dénoncé l’injustice, la corruption, les dictatures et l’oubli des peuples.
Pourtant, dans un contexte national et régional fait de crispations démocratiques, d’abus de pouvoir. Mais aussi d’inégalités persistantes et les tensions sociales, un silence étrange semble gagner ceux qui furent hier les voix les plus bruyantes de la rue.
Prenons Tiken Jah Fakoly, qui fut pendant des années le “micro du peuple”. Chantant les sans-voix, critiquant les présidents à vie, et appelant à une Afrique debout. Aujourd’hui, plus discret, il s’exprime rarement sur les affaires politiques locales. Préférant des combats plus globaux ou personnels.
Quant à Alpha Blondy, considéré comme le père du reggae africain, sa parole semble devenue plus sage. Plus spirituelle, moins directement engagée dans la contestation politique frontale qu’autrefois. Son dernier album « Rise » en témoigne. Si ses dernières productions gardent une dimension morale, elles n’ont plus l’urgence ni la charge militante de ses grands classiques comme Brigadier Sabari ou Jah Houphouët.

Et pourtant, l’actualité ivoirienne n’est pas avare en sujets.
Réforme constitutionnelle, coût de la vie, liberté d’expression, environnement, jeunesse désabusée, exilés politiques… Autant de thématiques que ces artistes dénonçaient avec force hier. Mais qui aujourd’hui ne trouvent plus d’écho puissant dans les micros reggae.
Le paradoxe est saisissant : au moment où les politiciens deviennent humoristes, les artistes engagés se taisent. C’est ce que soulignait récemment Adama Dahico, humoriste ivoirien et ancien candidat à la présidentielle :
« Les politiciens font de l’humour, ce sont des comiques. Donc nous, les humoristes, nous pouvons faire de la politique ! »
Et pendant ce temps, les artistes de contestation… ne contestent plus.
Tangara Speed Ghoda est décédé. Kajeem menacé de tout. Fadal Dey silencieux. Et d’autres voix toujours présentes mais moins médiatisées, continuent malgré tout à faire vivre un reggae de conviction. Souvent dans des circuits plus alternatifs tels que AZK, et un peu moins au Parker Place et loin des grandes scènes.
Mais la visibilité et l’impact ne sont plus les mêmes. La contestation semble s’être diluée dans l’image, la diplomatie, ou le choix du silence. Est-ce la fatigue du combat ? Une autocensure ? Une stratégie ?
Alors que le reggae fut pendant des décennies le cri du peuple, il semble aujourd’hui en quête de renouvellement. De sens, ou peut-être de courage.
Aujourd’hui même le Couper décaler et surtout le ZOUGLOU arrive à faire le job.
Le 11 mai devrait être l’occasion de célébrer Bob Marley. Et aussi de questionner l’engagement artistique dans nos sociétés africaines contemporaines.
Car si la musique est un exutoire, elle est aussi une arme politique. Une parole nécessaire dans des espaces où la liberté s’amenuise.
Le reggae ne meurt pas, mais il s’endort parfois.
Et l’histoire nous rappelle qu’aucun peuple ne se libère sans musique.
ALEX KIPRE
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE