Dans un climat de rivalités internes et de polarisation politique, le délitement du paysage ivoirien devient spectacle pour la sous‑région.
Le déclin apparent d’un grand parti, comme le PDCI, suscite des réjouissances clandestines. Ce parti historique, facette ancienne et respectable de notre vie politique, traverse une crise interne dont beaucoup se délectent. Certains anciens cadres, partis avant l’orage, observent la scène avec détachement ; d’autres rivaux politiques y trouvent prétexte à triomphalisme. Les rancœurs personnelles — querelles entre cadres (Billon JL, Yapo Valérie, Jean Marc Yacé) ambitions mal canalisées — ont parfois suffi à affaiblir des structures centenaires. Cette dynamique a profité au RHDP et à d’autres formations (Fpi, Ppa-Ci, Cojep..) qui attendaient leur heure.
Mais la douleur du PDCI ne se limite pas à un jeu partisan : elle fragilise la cohésion nationale. Tiassalé, Yamoussoukro, les régions s’embrasent, les tensions locales se multiplient, et la scène devient un terrain d’expérimentations politiques dangereuses. Plus inquiétant encore, nos voisins regardent. Certains pays de la sous‑région, qui aimeraient nous dépasser économiquement et politiquement, observent avec intérêt. Leur satisfaction n’est pas toujours malveillante. ca peut être de l’émulation saine. Parfois elle traduit simplement un soulagement comparatif : « Nous ne sommes pas pire qu’eux. »
La joie silencieuse de certains face à nos malheurs dit autant de leurs complexes que de nos renoncements.
Certains nous regardent et souhaitent parfois notre chute pour mieux exister.
Ce qui arrive au Pdci est valable pour la Côte d’Ivoire dans son ensemble. Le Pdci est aux partis politiques ivoiriens, ce que la Côte d’Ivoire est la sous région. Un exemple de prospérité sinon jalousé du moins envié.
Comme tous les groupes d’exception, le Pdci-Rda, désormais le Rhdp, le Fpi de Gbagbo hier, la Côte d’Ivoire et ses infrastructures orgueilleuses, les autres cherchent à abattre. Parce qu’il faut beaucoup de bon sens, de grandeur pour aimer la réussite de l’autre. Les suffisances du Pdci-Rda et de la Côte d’Ivoire, la condescendance du Rhdp, son manque d’humilité, ce sentiment d’avoir réussi mieux que le père Houphouët dont il se réclame suffisent à attiser la haine et l’envie de les voir chuter. C’est ainsi.
La Côte d’Ivoire attire l’attention — parfois pour des motifs tragiques.
Nous vivons dans une société où le malheur d’autrui rassure : une nation qui vacille paraît redonner sens et fierté à ceux qui se comparent. Ce phénomène n’est pas anodin ; il dit quelque chose de la psychologie collective régionale et de la faiblesse de nos institutions.
Ce ressentiment voisin traduit un mécanisme humain universel : lorsque l’on souffre comme l’Aes par exemple, on cherche un référent plus mal loti. Cette comparaison est consolatrice. Mais elle est aussi perverse : elle fait des malheurs d’autrui une monnaie d’échange symbolique. Ainsi, les images de pneus enflammés; de ponts effondrés ou les rumeurs de violence se propagent. Et deviennent le récit que d’autres se racontent pour exorciser leurs propres peurs, leurs propres retards.
La responsabilité de cette spirale n’incombe pas seulement à l’opposition. Le pouvoir Rhdp, (ses faucons, sa presse d’opinion, ses chroniqueurs fats, ses blogueurs au niveau discuté plus que discutable) par sa condescendance ou par un sentiment de toute‑puissance, en porte une part écrasante. Lorsqu’un État dispose des forces de l’ordre, de l’administration et d’une visibilité internationale, sa première tâche devrait être d’apaiser et de rassembler. Il n’a plus besoin de bander -comme un opposant- les muscles. Laisser « des faucons » s’enclencher dans un langage d’affrontement. Ou tolérer des postures publiques agressives avec des pasteurs, des procureurs, c’est semer l’embrasement. La défiance se nourrit de réponses virulentes.
La surenchère verbale légitime la surenchère dans la rue. Toujours. Et depuis toujours.
Rappelons-nous qu’aucune puissance n’est éternelle. L’orgueil d’aujourd’hui peut devenir la chute de demain. Éviter l’escalade demande discipline et humilité. Le dialogue, la réparation des affrontements internes, la réforme des pratiques politiques sont des remèdes plus efficaces que les démonstrations de force.
En définitive, veillons à ce que nos malheurs ne deviennent pas spectacle pour la région. Plutôt que de nourrir la revanche, cultivons la responsabilité. Il ne s’agit pas seulement de protéger l’image internationale de la Côte d’Ivoire. Il s’agit de préserver la vie collective, d’empêcher que la rivalité n’aboutisse à la tragédie. Si la nation veut être source d’émulation et non d’effroi, elle doit d’abord cesser de se divertir de ses propres blessures.
ALEX KIPRE
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE
