9 juin: Ernesto Djédjé, 42 ans que sa création résiste

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Le 9 juin 1983, la Côte d’Ivoire perdait l’un de ses plus grands créateurs musicaux : Blé Loué Djédjé Ernest, plus connu sous le nom d’Ernesto Djédjé.

Quarante-deux ans après cette disparition brutale, son empreinte demeure vive, son œuvre intacte, sa légende inaltérable. En ce jour de mémoire, il importe non seulement de pleurer l’homme, mais surtout de saluer l’artiste, de célébrer le pionnier, et d’honorer l’héritage.

Né en 1947 à Tahiraguhé, dans la région de Daloa — cette terre féconde du Centre-Ouest ivoirien, surnommée à juste titre « le pays des artistes » — Ernesto Djédjé a grandi dans un bain culturel où tradition et modernité s’entremêlaient. C’est dès l’âge de dix ans qu’il fut initié au Tohoulou, genre ancestral dont il tirera plus tard la quintessence pour forger le Ziglibity, rythme devenu emblématique de l’identité musicale ivoirienne.

Avant de devenir le héraut d’une musique enracinée, Ernesto fut d’abord un virtuose de la scène moderne. Dans les années 1960, il se fait remarquer dans l’orchestre Les Antilopes de Daloa, avant d’être recruté par le patriarche Amédée Pierre au sein de l’Ivoiro-Star. Il y fait ses premières armes en tant que chef d’orchestre, révélant déjà un rare mélange de rigueur et d’audace.

Mais le jeune homme voit plus loin.

En 1968, il quitte Abidjan pour Paris, creuset de toutes les expérimentations. Là, il croise des figures majeures de la musique africaine comme François Lougah et Manu Dibango. De cette effervescence naît son premier 45 tours, « Anowa », marqué par des accents de soul, prélude à un style encore en gestation mais déjà puissant. « Anowa » séduit, tout comme « Mamadou Coulibaly », et révèle un artiste en pleine ascension.

Son retour au pays en 1973 sera décisif. Appelé par Emmanuel Dioulo à San-Pédro, il prend les rênes d’un nouvel orchestre financé par l’ARSO. C’est là que s’opère la synthèse entre la mémoire et la modernité. Ernesto Djédjé façonne, modèle, affûte le Ziglibity. Musique et danse s’y conjuguent en une esthétique nouvelle, une célébration du rythme ivoirien profondément ancrée dans la tradition bété mais ouverte au monde.

Après trois ans, il prend son indépendance artistique. À Abidjan, il explose littéralement avec des titres comme « Ziboté » et « Aguissè », devenus des hymnes populaires. Ernesto Djédjé atteint alors les sommets. Il n’est plus seulement un musicien, il devient une icône nationale, le « Gnoantré National », c’est-à-dire le champion incontesté d’une culture populaire réinventée et assumée.

Le 9 juin 1983, alors qu’il n’a que 36 ans, la faucheuse l’emporte brutalement.

Sa mort crée une onde de choc. La Côte d’Ivoire est orpheline d’un génie. À l’instar des grandes légendes, il laisse derrière lui une œuvre inachevée, mais essentielle. Il lègue une idée : que l’identité culturelle peut être une source de fierté, de création, et de rayonnement.

À défaut d’avoir eu des héritiers à la mesure de sa vision, le Ziglibity reste son testament musical, et Ernesto Djédjé demeure, dans la mémoire collective, un héros moderne, à la fois gardien du passé et éclaireur du futur.

En ce 9 juin 2025, la nation ivoirienne se souvient.

Elle s’incline devant la mémoire d’un homme qui, par sa musique, a transcendé les clivages, magnifié les racines et ouvert une voie que nul n’a su refermer. Que son nom continue de résonner à travers les âges comme le symbole d’un art libre, exigeant, et profondément ivoirien.

Repose en paix, Gnoantré National. Tu n’as pas chanté en vain.

HARON LESLIE

photo:dr

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