De l’antan à aujourd’hui, ce que nous dit cette archive oubliée

1 mois

Mamadou DAO citoyen ivoirien fait un plongeon dans les racines de l’Etat

Alors que la Côte d’Ivoire s’apprête à franchir, dans quelques mois, un nouveau cap électoral décisif. Il n’est pas inutile de se retourner sur les racines de l’État, sur les premiers pas de notre administration publique, sur ce qu’elle fut… et sur ce qu’elle est devenue.

Une archive oubliée, récemment redécouverte par votre serviteur, nous offre ce miroir.

Un organigramme administratif du ministère des Affaires Économiques et Financières de la Côte d’Ivoire sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny, daté des premières années de l’indépendance.

Ce document, bien plus qu’une simple liste de noms, est un instantané d’un État en construction, à la croisée des ambitions nationales et des influences extérieures.

On y découvre un ministère que dirige un Konan Bédié jeune, déjà investi d’une lourde responsabilité. Ce choix d’un leadership jeune illustre une époque où l’État faisait confiance à une élite montante. Une élite éduquée et formée, élevée dans l’idéal du service public, pour occuper des postes stratégiques.

Cet héritage interpelle : où est passée cette passerelle entre jeunesse et haute fonction publique  ?

L’organigramme révèle une technostructure en pleine construction. Les directions et services couvrent les domaines clés : contrôle économique, douanes, contributions diverses, cadastre, budgets… Il se dégage un souci manifeste de bâtir un État régulateur, acteur économique central, capable d’encadrer et d’orienter l’économie nationale.

Mais l’œil attentif détecte aussi une réalité plus discrète : la présence stratégique des coopérants français aux postes-clés. On y lit les noms de Frier, Augias, Ley, Durrieu, Ferrand, Ferreri, Serre, Duhart… Ces conseillers techniques, directeurs adjoints ou chefs de service, sont placés là où l’argent entre et sort : douanes, contributions, cadastre, recettes domaniales, fiscalité. Pas aux Affaires sociales ni à la Culture, mais bien au cœur des flux économiques et financiers.

Ce n’est pas un hasard. Cette configuration traduit ce qu’on pourrait appeler une tutelle économique officieuse. Derrière la souveraineté politique proclamée, l’économie nationale restait encadrée, pilotée, co-gérée par une expertise étrangère. La France demeurait dans la salle des machines, pendant que les jeunes cadres ivoiriens occupaient le pont du navire.

Cette archive incarne ainsi une métaphore vivante de la Françafrique technocratique : une indépendance politique accompagnée d’une dépendance technocratique organisée, inscrite jusque dans l’organigramme. Était-ce une phase de transition nécessaire ou une mainmise prolongée ? La question reste ouverte. Mais le fait est là : au moment même où l’État ivoirien se dotait d’une autonomie institutionnelle, les leviers stratégiques demeuraient sous expertise “prêtée”… mais ô combien déterminante.

Avec le recul, cette archive illustre une trajectoire.

Elle témoigne de la volonté initiale de bâtir une administration structurée, centralisée, stratège, mais aussi de la fragilité des fondations techniques sous tutelle extérieure.

Un demi-siècle plus tard, le paysage administratif a profondément changé. Les postes stratégiques sont aujourd’hui occupés par des nationaux. L’administration s’est “ivoirisée”, non seulement en effectif mais aussi dans ses pratiques.

 

Mais ce qui devait être l’accomplissement de la souveraineté – la nationalisation des fonctions stratégiques – a été rattrapé par d’autres dynamiques : la politisation, la captation clanique, et la prédation des ressources publiques. Nombre d’analystes et de rapports dénoncent une administration instrumentalisée, détournée de l’intérêt général au profit d’intérêts partisans et privés.

Que s’est-il passé ? Pourquoi ce glissement ?

 

Plusieurs facteurs peuvent être identifiés :

 

  1. La faiblesse des mécanismes de contrôle et de redevabilité. L’autonomisation technique n’a pas été accompagnée d’un renforcement des dispositifs d’audit, de transparence et de contre-pouvoirs. Ce déficit a transformé l’administration en espace d’opacité et d’impunité.

 

 

  1. La fusion croissante entre pouvoir politique et appareil administratif. Ce qui était autrefois un champ distinct est devenu un prolongement du pouvoir en place, l’administration se transformant en instrument électoral ou patrimonial.

 

 

  1. L’érosion du projet d’État fédérateur. Le récit collectif de développement national et de construction commune s’est effacé, laissant place à des logiques d’accaparement individuel ou de clan.

 

 

  1. La dépendance persistante aux contraintes extérieures. L’espoir d’une souveraineté économique a été freiné par les ajustements structurels, la dépendance aux bailleurs, et les injonctions exogènes.

 

 

Avons-nous échoué à bâtir la souveraineté ? La réponse mérite nuance. Il serait réducteur de parler d’un échec total ; la Côte d’Ivoire dispose d’un appareil administratif fonctionnel, de cadres compétents, et de politiques publiques structurées.

Mais l’idéal d’une administration au service exclusif de l’intérêt général, garante de l’équité et moteur de développement, a été fragilisé.

 

Ce cheminement met en évidence une souveraineté institutionnelle inachevée. L’autonomie technique a été atteinte, mais sans consolidation d’une culture de probité, de redevabilité et d’intérêt général.

 

En somme, l’enjeu n’est plus seulement de “nationaliser” les compétences, mais de moraliser, professionnaliser et dépolitiser l’administration, pour qu’elle redevienne le bras opérationnel d’un projet collectif, et non l’instrument d’intérêts fragmentés.

 

Cette archive pose donc une question cruciale pour notre présent : comment réconcilier l’administration et la nation ? Comment reconstruire un appareil public porteur d’une souveraineté réelle, non seulement juridique, mais aussi morale et politique ?

 

Le défi reste entier, mais l’histoire nous enseigne qu’il n’est pas hors de portée.

 

Et surtout, alors que nous sommes à six mois d’un autre moment crucial pour notre pays, cette autre bataille – celle de l’éthique et de l’efficacité de l’administration – ne doit pas être occultée.

 

Mamadou DAO

photo:dr

POUVOIRS MAGAZINE

 

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