Tiburce, Venance, Blondy, Tiken….Je leur pardonne

3 semaines

Au détour d’une conversation amicale sur les convictions frivoles de nos élites, il me paraît utile de décliner humblement la teneur de ma pensée sur la question.

Il est des personnages dont les choix, aussi clivants qu’ambigus, rythment la vie de nos sociétés africaines et ivoiriennes. À tort ou à raison, la plèbe leur accorde un certain crédit pour pérorer dans l’espace public et médiatique, faisant d’eux des sentinelles politiques dont les prises de position ont force d’opinion.

Il est plus qu’évident qu’à un moment ou un autre, nous avons tous, autant que nous sommes, été influencés par ces « érudits » dans notre rapport à la pensée, à la société, et à la Côte d’Ivoire. Nous leur accordons, pour certains, l’immunité intellectuelle, au point d’en faire des gourous.

Pour d’autres, nous surestimons leur capacité intellectuelle et philosophique à construire une pensée pertinente, oubliant toutefois qu’ils sont aussi soumis, entre autres, aux mêmes réalités sociales, existentielles et pécuniaires que tout mortel. Ils sont sujets à la duplicité, à la trahison, à la fourberie, au mercenariat, à la plume à la carte et aux idées vacillantes.

Des humains comme vous et moi, qui ont le droit de se tromper de bonne foi, de transiger avec la vérité, de se renier, de patauger dans la compromission, de ruser avec le peuple pour leurs intérêts.

Des hommes simplement.

J’en arrive finalement à penser que ce fut un leurre d’en faire des olympes ou des parias. Car on ne peut pas inlassablement leur reprocher leur incongruité tout en s’exonérant de toute introspection et remise en cause. Comme dirait l’autre : « Je suis responsable de ce que je dis, mais pas de ce que tu comprends ». Il appartient à chacun de s’inspirer de leurs lumières et de leurs ombres pour affiner sa pensée.

Au terme de la conversation épique avec mon ami qui reprochait à Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly, Tiburce Koffi et Venance Konan, pour ne citer qu’eux, de voguer au gré du plus offrant, selon que la météo politique s’exprime, j’ai envisagé une réflexion profonde.

Sur la capacité du peuple à se défaire de l’aphorisme, à interroger le postulat, à questionner les opinions préconçues. Dès lors qu’on ose cette démarche, il apparaît plus d’objectivité, moins d’invective. On est plus enclin à relativiser et à ne pas vouer aux gémonies ces personnages qui, peut-être inconsciemment, ont le tort ou la prétention de penser détenir la vérité.

Je pardonne donc à Tiburce Koffi la fantaisie de ses engagements politiques, parce que, oui, un génie littéraire de son niveau a gagné le droit de ses ambivalences. L’intellectuel de haut vol qu’il est, bien qu’agonisant dans le jardin des idées intransigeantes, plaidera toujours la culpabilité de ses imperfections.

Là réside toute la grandeur du personnage.

Quand on flirte à la fois avec la profondeur des notes du blues, spleen d’une âme blessée, incomprise, et qu’on marivaude avec la subtilité de la poésie, quel indulgence pour percevoir la complexité de l’érudit. Aussi illisible qu’il puisse être parfois, l’invitation à l’auto-psychanalyse intellectuelle qu’il propose crédibilise son attachement à l’idéal, à l’idéel. Mais aussi, son refus de gueuler avec les loups. En atteste Non à l’Appel de Daoukro, une critique sous forme de thèse et antithèse d’un contrat de dupes, que seuls les dupes déniaient l’épilogue prémonitoire. Le penseur peut également revendiquer sa propension à se tromper souvent, parce qu’il convoque constamment le questionnement, réfute l’inaction, récuse la doxa, de bonne ou de mauvaise foi.

Je lui pardonne l’asthénie de ses idées qui s’effondrent au gré de la nonchalance du troisième âge. Parce que quand on a traversé l’histoire politique de son pays dans la contestation et la subversion permanente, la vaillance s’amenuise, l’engagement s’effrite progressivement pour laisser germer un pragmatisme clinique souvent incompris, corolaire d’expériences antérieures d’une vie politique ponctuée d’inconnues et d’incertitudes.

Par ailleurs, à l’instar de Fanon qui disait que « chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir », il appartient à la jeunesse iPhone de livrer ses propres batailles, aux antipodes des dynamiques du rideau de fer, du discours de la Baule, ou encore de la psychédélique peace and love des années hippies.

Je lui concède la lassitude du combat permanent.

Car si le marxiste d’autrefois stipulait une forme de révolution en réponse à l’ordre issu des indépendances, que penserait aujourd’hui Sama, l’infortuné personnage, pas si fictif, de son roman Mémoire d’une tombe, de l’idéal de gauche qu’il chérissait tant ? Cet idéal galvaudé qu’il reprochait à son ami Laurent à juste titre, qu’en a-t-il fait lui-même ? Quand il soupe aujourd’hui à la table douteuse de ces capitalistes de droite qu’il affublait hier des augures les plus ténébreuses.

Loin de m’ériger en donneur de leçons, j’ai tout de même gagné le droit de critiquer, même avec acuité, un auteur si inspirant qui m’a influencé, un philosophe si brillant qui a illuminé par ses proses, un jazzman aussi attachant que complexe. À l’image de Coltrane dans Giants Steps, avec ses structures harmoniques emmêlées, mais ô combien savoureuses.

Je comprends également Venance Konan, bien que ne lui vouant aucune sympathie particulière. Cependant, la démarche intellectuelle en appelle, contre notre gré, à relativiser, même sur les compromissions les plus abjectes. Hier chantre d’une ivoirité brumeuse à souhait, aujourd’hui saltimbanque et bouffon de plume d’un prince qu’il a si souvent harpaillé, couvert d’ignominie.

La hardiesse qu’il met à le psalmodier défie toutes les lois de la décence.

Comme la vomissure peut-être si délicieuse quand on est aussi affamé ?

En dénonçant la peau dure de nos paresses nègres dans Négreries, illusions et désillusions, avec un humour à géométrie variable, l’honnêteté de la satire aurait dû épingler également le double discours de ces intellos à la carte qui pullulent dans notre espace médiatique et politique, donnant des injonctions et se vautrant dans des postures de curés. Ces journalistes communiquant de l’auto-plébiscite à la dialectique pédante, dont la conviction vacille au moindre coup de vent. Ceux-là qui nous expliquaient, dans un repli identitaire, leur curieuse version de l’ontologie ivoirienne, et qui se dédisent des décennies plus tard à chanter les louanges de la mosaïque culturelle de notre pays. Dans une amnésie aussi partiale que ridicule.

Cela dit, nier son apport au banquet des idées en notre Eburnie, c’est être frappé d’une ablation à la mémoire politique. Le mérite lui revient de ne s’être pas tu, donc d’avoir le droit de se tromper.

Parce qu’il n’est pas interdit de se tromper. D’ailleurs, il vaut mieux avoir le courage de ses idées, aussi loufoques qu’elles puissent paraître, que de se planquer derrière les imperfections des autres. Je respecte donc l’intellectuel qui a osé défendre ses opinions. Ses prises de position ont éclairé la lanterne de plus d’un et ont suscité des vocations de journalistes, c’est indéniable.

Quoiqu’on puisse en penser, le grand prix littéraire d’Afrique noire 2012 a la reconnaissance de ses pairs. Une sorte d’institution régulièrement primée pour sa contribution au journalisme. Comme pour dire que l’essence de l’humain, c’est aussi l’ensemble des contradictions qui le définissent.

Cet être qu’on ne devrait pas percevoir sous un prisme manichéen.

Sans toutefois tenter de le disculper, ma naïveté s’est éclairée au fil des ans sur la capacité des hommes à résister face aux sirènes du confort. Et j’en ai déduit que, même quand on applique le principe de la morale aux autres, la nuance doit se situer à la lisière du réalisme. Tout le monde n’a pas la même capacité de résilience, dans une société africaine où la question des libertés individuelles est préoccupante. Où la précarité agresse l’esprit critique.

Et je le dis sans aucune forme de sarcasme.
Je lui pardonne, parce qu’il est facile de critiquer Venance Konan, mais est-ce si facile d’être Venance Konan ?

En ces heures obscures où les intellectuels dynamiques sont en voie de disparition, il serait plus qu’utile de fustiger

leurs errances politiques, leurs obédiences douteuses et hypothétiques. En revanche, chérissons ces espèces menacées, car elles ont le mérite d’interroger, même au plus fort de leurs incohérences, une société de plus en plus déliquescente. La contradiction demeure plus que jamais une esquisse pertinente dans la construction d’une société.

 

FIN DE LA PREMIERE PARTIE    

 

LOIC DAMAS

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