Un pouvoir politique est jugé sur ses actes, non sur les fautes commises par ses prédécesseurs.

3 mois

Lettre ouverte à ceux qui regardent dans le rétroviseur.

“Si une société ne veut pas se désintégrer, elle doit parfois tirer un trait sur ses années les plus sombres.”
Kazuo Ishiguro

Le débat politique ivoirien ressemble de plus en plus à un théâtre d’ombres où les mêmes figures et discours se répètent inlassablement. Il y a quelques jours, Serey Doh, ministre de la République et cadre du RHDP, s’est distingué par un discours aux relents xénophobes, remettant en cause la nationalité ivoirienne de Tidjane Thiam, président du PDCI.

Un écart grave, un pas de plus dans l’instrumentalisation identitaire du débat politique. Ce type de discours, dans un pays marqué par des fractures historiques sur la question de l’appartenance nationale, devrait susciter une condamnation unanime, surtout parmi ceux qui se réclament de l’intellect et de la pensée critique.

Mais au lieu d’un rejet clair et sans équivoque, certains « intellectuels » préfèrent entretenir une équivalence douteuse.

Des journalistes qui se disent indépendants et des “analystes” politiques, entre autres, nous expliquent doctement, coupures de presse d’époque et VAR à l’appui, que le PDCI, il y a près de 30 ans, a semé ce venin en contestant la nationalité du Président Alassane Ouattara.

Le message est à peine voilé : le RHDP d’aujourd’hui (qui jusqu’à présent n’a pas condamné son militant et ministre) ne serait pas coupable, il ne ferait que récolter ce que le PDCI a semé hier. Une tentative grossière de renvoyer dos à dos l’histoire et le présent, comme si le fait qu’un mal ait existé dans le passé pouvait en justifier la répétition aujourd’hui.

Pourtant, le constat est clair. Les propos de Serey Doh sont inacceptables. Le tribalisme, sous toutes ses formes, empoisonne la Côte d’Ivoire. L’instrumentalisation identitaire du débat politique a déjà coûté trop cher à ce pays.

L’équilibre, oui. L’équilibrisme, non.

Renvoyer systématiquement les responsabilités d’aujourd’hui aux erreurs du passé est une paresse intellectuelle qui évite d’affronter la réalité du présent. Un pouvoir politique est jugé sur ses actes, non sur les fautes commises par ses prédécesseurs. Le fait que le PDCI ait fauté hier ne dédouane pas le RHDP d’aujourd’hui. L’enjeu national est la priorité des priorités !

La responsabilité de celui qui détient le pouvoir est de construire l’avenir, pas de ressasser les erreurs du passé pour les reproduire sous un autre visage. Mais cette évidence est visiblement difficile à admettre pour certains, qui préfèrent brandir une neutralité de façade, confondant objectivité et indécision, analyse et relativisme.

Car c’est bien là que le bât blesse : peut-on être réellement neutre face aux questions essentielles qui engagent l’avenir d’une nation ? L’objectivité, oui, mais la neutralité ? Quand il s’agit de xénophobie, d’exclusion, de principes démocratiques fondamentaux, peut-on se cacher derrière une posture d’équilibriste ?

Se dire « neutre », c’est parfois choisir l’inaction sous couvert d’impartialité. Or, dans une société en construction, dans un pays qui cherche à panser ses plaies, ne pas choisir, c’est déjà choisir.

La neutralité intellectuelle : une illusion dangereuse

Un intellectuel doit-il être un simple spectateur du débat politique, ou un acteur éclairé capable d’exposer les faits sans complaisance ? Il y a un fossé entre l’objectivité, qui consiste à analyser la réalité avec rigueur, et l’équilibrisme, qui revient à niveler toutes les responsabilités par le bas sous prétexte d’impartialité.

La neutralité absolue est souvent un luxe que seuls ceux qui ne subissent pas les conséquences peuvent se permettre. Lorsqu’un pouvoir ferme les yeux sur des discours de division, lorsqu’un ministre de la République se permet d’attiser des tensions identitaires, comment un intellectuel digne de ce nom pourrait-il se contenter d’un commentaire tiède, plaçant les responsabilités sur le même plan sous couvert d’analyse historique ?

Le devoir de vérité

Le passé doit éclairer le présent, non servir d’alibi à ses dérives. Oui, il faut analyser les erreurs d’hier. Oui, le PDCI, à une époque, a commis des fautes sur la question de la nationalité. Mais cela ne saurait justifier que les mêmes erreurs soient répétées par ceux qui prétendent avoir mieux compris l’histoire.

L’histoire est un socle, pas un frein. Pendant que nous regardons en arrière, le monde avance. Pendant que nous faisons de l’histoire un prétexte, nous nous empêchons de construire l’avenir.

L’heure n’est plus à l’indécision. L’heure est à la clarté.

👉 La Côte d’Ivoire n’a pas besoin de fausses neutralités et de demi-vérités. Elle a besoin d’intellectuels honnêtes, capables de nommer les faits et de refuser les complaisances.

👉 Elle a besoin d’acteurs qui comprennent que le tribalisme est un mal à combattre en toutes circonstances, et non un héritage à recycler selon les intérêts du moment.

👉 Elle a besoin de bâtisseurs, et non de spectateurs critiques qui, sous couvert d’analyse, se contentent de distribuer des torts à parts égales pour éviter de froisser un camp ou l’autre.

Dénonçons les erreurs d’hier, certes. Mais ne les utilisons jamais pour justifier les fautes d’aujourd’hui. Exigeons des comptes de ceux qui gouvernent, sans diversion ni détour. Car ce sont eux qui tiennent le gouvernail de notre avenir commun.


Docteur F. Sako
Cadre & militant du PDCI-RDA

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