Honorat De Yédagne, journaliste et ancien directeur général de Fraternité Matin, s’exprime sur la situation de son pays.
“La société ivoirienne, telle qu’elle fonctionne actuellement, est vouée à la division et à la violence interne. La cause principale de cette situation est la gouvernance par la corruption. Tous les Ivoiriens se ressemblent dans ce système, car c’est la corruption qui les unit. Quand on observe le paysage politique, on comprend rapidement que beaucoup se lancent en politique pour s’enrichir.
En Côte d’Ivoire, il semble que tout le monde accepte de voler l’État selon ses moyens : c’est ce que j’appelle le consensus ivoirien. Ce consensus est né de la politique d’Houphouët-Boigny, qui a cherché à transformer les ressources économiques en outils de pouvoir politique, sous le prétexte de maintenir la stabilité et la paix. Cependant, maintenant que les limites de ce consensus sont devenues évidentes, il est impératif d’en sortir. Trois mille morts devraient tout de même nous choquer suffisamment pour envisager de faire de la politique autrement.
Nous devons élaborer un nouveau consensus, un nouveau paradigme. Par exemple, nous pourrions décider que tous s’accordent pour servir la Côte d’Ivoire, plutôt que de se servir d’elle.
Trois mille morts devraient tout de même nous choquer suffisamment pour envisager de faire de la politique autrement.
Ce simple changement d’orientation pourrait suffire, car les implications d’un tel consensus conduiraient inévitablement à un jeu démocratique transparent, à la légitimité des acteurs politiques, et à un accord autour des valeurs fondatrices de la République, pour bâtir une république exemplaire.
Aujourd’hui, tout le monde parle de réconciliation. Cela prête à sourire, car la réconciliation dont parlent les politiciens n’est qu’un moyen pour eux de s’entendre afin de se partager les richesses du pays. Pour moi, la réconciliation qui compte est celle fondée sur des valeurs communes.
Comment faire en sorte qu’un chef d’État ne puisse pas s’octroyer un budget de souveraineté de 348 milliards ? Et garantir que la Commission électorale indépendante (CEI) ne soit pas au service d’un parti politique ? Et aussi comment assurer que la justice ne soit pas subordonnée aux directives d’un chef d’État ?
Pour empêcher les directeurs généraux des entreprises publiques de détourner les ressources au profit de leurs proches, en toute impunité ? Car le véritable problème en Côte d’Ivoire, c’est l’impunité.”
Retranscrits par
SOPHIE BLE
photo: dr
POUVOIRS MAGAZINE