“J’appelle toujours Hiré la ville aux mille paradoxes” avait affirmé Dago Auguste, Député de la circonscription Hiré-zego. Un tour d’horizon de cette localité aurifère du Loh-djiboua permet, en effet, de saisir tout le sens de ses mots de dépit.
La ville par défaut.
Un peu plus de 35 kilomètres, à l’ouest de Divo, après pratiquement deux heures (les choses se sont améliorées dit-on), sur une route cahoteuse, Hiré s’offre au visiteur comme une ville par défaut. De part et d’autre de cette route interurbaine impraticable la reliant à Oumé, un alignement de baraquements de petits commerces interrompus, par endroit, de constructions de standing moyen, en matériaux définitifs. Mise à part l’impressionnante palissade de la mission catholique qui tente désespérément de détourner le regard de cet enchevêtrement de toits rouillés, l’impression de désordre est saisissante. Aux ballets frénétiques des sempiternels indisciplinés moto-taxi, se mêlent les vrombissements arrogants des bus vomissant et ravalant les ouvriers des deux mines d’or perchées, aux pieds desquelles s’étale une ville à l’atmosphère misérable.
” Ce désordre est lié au fait que la plupart des habitations s’entassent en bordure de route parce qu’il n’y a pratiquement pas de rues correctes à Hiré. Vous avez une voie qui rentre au quartier baoulé, une autre au quartier plateau et la voie de Kagbé. Le reste ce sont des impasses qui débouchent très souvent sur des quartiers qui ne répondent à aucune norme urbaine.” Confie un infirmier en poste dans la ville depuis bientôt sept ans.
Aucun quartier à Hiré n’obéit à un tracé rigoureux. Plateau, Assayê 1 et 2, quartier baoulé ont tout d’une agglomération spontanée. Même le quartier dit résidentiel- l’eau n’y coule qu’une heure par jour- offre de véritables dédales, parfois herbeuses. ” Le chemin que vous voyez traverser le quartier Assayè, n’est rien d’autre que la ligne de haute tension. Les poteaux électriques sont le fait de particuliers. Nous-mêmes on a dû en tirer cinq pour nous éclairer.” Révèle T.A, fondateur d’un collège privé. En d’autres termes, Hiré, commune de plein exercice depuis 1985 n’obéit à aucun plan d’urbanisation. Il se dit d’ailleurs que la plupart des installations sont le fait des orpailleurs. C’est d’ailleurs, pour ce cadre de la mairie, la principale raison de cette pagaille. ” Je vous apprends que c’est seulement maintenant que nous venons de déposer le plan d’assemblage de la ville. Tenez- vous bien, depuis que cette ville existe, aucun plan de lotissement n’a été approuvé. C’était l’Eldorado de l’orpaillage clandestin. Et les orpailleurs faisaient la pluie et le beau temps. Installant une anarchie monstre, même dans les administrations.” Avoue-t-il.
La ville des immondices.
Hiré, c’est aussi la ville des immondices. A chaque porte son dépôt sauvage, dirait-on. Certaines ruelles reliant les quartiers sont complètement obstruées. Pour tout équipement contre l’insalubrité, la mairie n’a qu’un camion Benne ( en panne depuis quelques mois ) et un ou deux tricycles. Au point de se demander quels sont les quartiers qui ont la chance de recevoir les éboueurs de la mairie. ” Je ne crois pas que la salubrité soit une priorité pour la mairie de Hiré. Regardez ! vous-mêmes comment la ville est salle. Allez dans la cour de la mairie vous trouverez des bœufs et des moutons en train de brouter. Un jeune homme avait pourtant proposé un système de collecte des ordures qui semblait bien marcher. Puisqu’il se faisait directement payer par la population. Mais il a été freiné par la mairie. Pourtant, elle n’a proposé aucune alternative.” S’indigne un jeune boulanger. Sa colère est d’autant plus fondée que tous les matins il est obligé de trouver une broussaille pour se débarrasser des déchets de la boulangerie.
Les fonds des puits.
Pourtant les fonds ne manquent pas. Un comité de développement des villes et villages impactés reçoit des fonds prélevés sur le chiffre d’affaire des mines d’or qui cernent la ville. Et le cahier de charges n’est pas moins précis. En tout cas, aux dires de l’honorable Dago Auguste, Député de la circonscription de Hiré-zego. “Un peu plus de 300 millions sont reversés pour Hiré par an. Et ce depuis cinq ou six ans. Je pense qu’on aurait pu faire avancer la ville. Tenez-vous bien, même l’aménagement des voiries intérieures font partie du cahier de charges.” Qu’est-ce qui explique alors que la ville soit dans un tel état ? Cet agent de la mairie accuse plutôt les cadres de la sous-préfecture de Hiré. “ Lorsque vous arrivez dans les villages aux alentours de Hiré, vous serez surpris par le niveau développement de ces villages. Vous y trouverez des villas qu’on ne rencontre pas dans la ville.
Que ce soit à Gogobro, Bouakako ou zaroko…ces villages sont très bien construits, mais il n’y a rien pour la ville. Les cadres d’ici ont toujours perçu Hiré comme un campement. Donc ils n’y investissent pas.” Hiré semble, en effet, livrée à elle-même. Puisqu’il n’y a aucune lisibilité au niveau des actions de l’autorité municipale. ” Que peut-on espérer de la mairie avec un budget aussi dérisoire ? Les besoins sont énormes. Trouvez-vous logique que la mairie d’une ville dont un quartier est happé par une mine d’or ne perçoive rien de cette mine? A moins qu’on m’explique ce qu’on appelle ville impactée.” S’interroge-t-il. Juste des alibis, selon l’honorable Dago.” La mairie, c’est l’état. Et elle ne nous a pas encore dit ce qu’elle fait des subventions qu’elle reçoit.”
De l’espoir au doute
Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir tenté d’entretenir l’espoir. ” Des candidats auxquels nous avons eu affaire aux élections de 2018, c’est l’actuel maire qui nous a permis d’espérer en promettant un château d’eau et le bitumage de l’axe Divo-Hiré long de 37 km. Quatre ans après nous attendons toujours.” Pour combien de temps encore ? Le dépit de cet instituteur est d’autant plus grand que les travaux de bitumage ont été stoppés net à 7 kilomètres de Hiré. Depuis lors, les populations n’ont plus droit qu’aux rumeurs. Certaines n’hésitent pas à faire cas de chantage politique. ” Aux dernières élections législatives, le candidat RHDP a été battu. Je crois que l’espoir de voir ce tronçon et les rues de Hiré bitumés s’est envolé.” Se désole ce jeune mécanicien. Pourtant des travaux de décapage ont été menés jusqu’à la porte de la ville. Mais depuis plus rien. Pour l’heure, on vit dans la précarité au pied des montagnes d’or.
Emmanuel Fofana, Correspondant régional
Pouvoirs-Magazine