Ibrahim Guetissi (danseur) «  Je garde l’équilibre à la source »

9 mois

Depuis plus d’une décennie, Ibrahim Guetissi fait partie du Groupe Emile Dubois, la troupe internationale du célèbre chorégraphe français Jean-Claude Gallotta. Le danseur ivoirien y explore d’autres facettes de sa palette chorégraphique nourrie à la rythmique africaine. Les pieds dans sa tradition, l’esprit ouvert sur des expériences occidentales, Guetissi est un acteur typique de la danse contemporaine dans le sens premier du terme. Fort de son expérience, l’enfant de Man basé à Grenoble était l’un des coaches invités par Ange Aoussou pour animer le stage de la 11 eme édition du festival “Un Pas Vers l’Avant” qui s’est déroulée du 6 au 17 septembre 2023 entre Lauzoua et Abidjan…

Cette année est la bonne, après plusieurs demandes, tu as été  finalement à “Un Pas Vers l’Avant.”

Oui,  ça fait un bon bout de temps que Ange voulait que je vienne. J’avais la volonté mais pas le calendrier favorable pour moi. Dans notre troupe à Grenoble, avec Gallotta, la saison commence en août. Et donc en septembre, il se trouve qu’on est en plein travaux. Et donc j’ai du dire à Ange de passer par mon patron, Jean-Claude Gallotta pour pouvoir me libérer. Cette année, c’est lui qu’elle a invité. Et comme il n’avait pas le temps lui aussi, il m’a demandé de venir le remplacer. Et donc, j’ai vraiment apprécié la session, surtout avec la belle énergie des 38 stagiaires qu’il y a eu à Lauzoua.

Tu es arrivé avec quelle  idée de partage pour le stage que tu allais animer ?

L’idée de base est de faire découvrir aux danseurs des  registres dans lesquels ils peuvent faire évoluer leur corps et qu’ils ne connaîtraient pas forcément. Avec mon expérience, j’ai la chance d’avoir un bagage de petits trucs pour définir une chorégraphie. À la base , je suis comme eux : danseur originaire d’Afrique donc émanant de notre foisonnante culture chorégraphique. Et pour créer quelque chose de contemporain, il y a des aptitudes. Ce sont ces outillages provenant de ma vie avec le Groupe Émile Dubois que j’ai essayé de leur inculquer. Pour enrichir leurs palettes techniques. Après, Gallotta a un projet à venir avec les danseurs africains. Donc là, je suis venu  un peu en exploration, pour voir si son univers peut s’adapter à la réalité des danseurs ici et à ses attentes, surtout. Ce projet là, c’est de reprendre la pièce « Trois générations”. Donc je lui ferai un rapport à mon retour.

Justement, quelle est la part de l’Afrique dans le travail de Gallotta? Lui qui a déjà traité le sujet sur « 2147, et si l’Afrique disparaissait ? » avec le metteur en scène ivoire-français Moïse Touré…

Dans cette pièce avec Moïse Touré, Gallotta interroge l’histoire contemporaine du continent. La douloureuse histoire comme la perspective de son avenir. Les deux créateurs de cette pièce, au fond, sont optimistes sur le fait que l’Afrique est le continent de l’avenir. En posant la question telle qu’elle est posée, c’est inviter à une réflexion pour tordre le cou au fatalisme funeste dans lequel on veut embarquer notre continent.

Après, Gallotta a ses pièces qui sont  universelles. Par exemple, “Trois générations” qu’il veut reprendre est vraiment à cheval sur trois générations: des enfants, des adultes et des seniors.

Pourquoi Ibrahim Guetissi danse?

Mon nom Guetissi signifie Le masque noir en Yacouba. Et chez nous, le masque est l’emblème du sacré qui régit tous les secteurs de la société: la politique, la culture, le spirituel. Dans ma famille, mon père a eu 15 enfants. Et moi, je suis l’homonyme d’un masque. Je suis le seul à porter ce nom dans la famille. Donc on peut dire que je suis né sous l’étoile de ce masque de danse. Dans ma culture, quand tu finis l’initiation, les ancêtres prédisent ce que tu vas devenir. Et moi, dès qu’ils m’ont vu, ils m’ont dit que je serai danseur. Le masque l’a dit à la cérémonie. Ce qui fait que ça n’a pas étonné mes parents quand je suis entré dans cet art.

Quel conseils tu pourrais donner aux danseurs ici pour qu’un jour, ils puissent se tracer un parcours comme le sien ?

C’est d’être eux-mêmes. De croire en leurs danses traditionnelles. De bien s’y former là-dedans. Danses traditionnelles, danses urbaines : c’est à partir de là qu’ils pourront créer quelque chose de nouveau. Et avec la persévérance, s’ils ont la foi et le courage de bien faire leur travail, forcément les opportunités arriveront.

Moi par exemple , j’ai été naturellement initié à la danse africaine. Et au bout d’un moment, j’ai décidé de voir autre chose. En 2002, j’ai connu la compagnie Tchétché de Béatrice Kombé, Nadia Beugré, Nina Kipré. Elles m’ont beaucoup influencé. Je me suis dit:”voilà ce que je veux faire”. J’ai ensuite suivi une formation à Donko Seko au Mali chez Kettly Noël à l’époque, où j’ai eu pas mal de prof. J’ai appris, j’ai appris, et la vie a fait que j’ai rencontré Gallotta en 2005 sur la création de “2147, et si l’Afrique disparaissait?”. C’est comme ça que je suis parti vivre et travailler en France. Ça fait 17 ans que je suis avec Gallotta et il est devenu comme un père pour moi.

Qu’est ce que ça change de travailler avec un si grand nom de la danse internationale comme Gallotta ?

C’est un autre univers que la danse traditionnelle que je faisais. Mais il y a beaucoup de rythme dans sa danse. À la base, Gallotta est architecte. Il a des idées qui a priori peuvent paraître incompréhensibles. Mais au final, l’œuvre surgit dans un grand ensemble bien lisible. Quand il crée, il sait où il va. Et moi africain, j’ai trouvé mon chemin dans sa danse. Souvent c’est compliqué parce que je n’ai pas la technique dès autres danseurs de la compagnie , mais côté rythmique, je suis présent. Et le temps qu’ils apprennent le rythme, moi j’apprends la technique pour qu’on soit au même niveau.

Comment tu gardes le lien avec la tradition africaine étant en France ?

Quand je viens régulièrement au pays, c’est aussi pour ça. C’est pour voir des choses, me ressourcer. J’en ai besoin. La vie là-bas fait qu’on peut vite oublier d’où l’on vient. Et moi mon pilier, c’est de savoir d’où je viens. Ça participe de mon équilibre de danseur africain travaillant en Europe.

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