À la veille des législatives, le président Alassane Ouattara réorganise méticuleusement l’espace politique ivoirien.
Derrière les investitures du RHDP se profile une stratégie de contrôle du territoire fondée sur la fidélité, la légitimité régionale. Et la reproduction du pouvoir exécutif.
Cette démarche illustre ce que plusieurs politologues africains nomment le patrimonialisme d’État. Une forme sophistiquée d’un autoritarisme électoral réinventé.
Réélu avec 89,77 % des voix, un score confirmé par le Conseil constitutionnel, Alassane Ouattara engage un nouveau cycle de gouvernance que marque une centralisation politique du pouvoir.
Derrière cette victoire, le chef de l’État ivoirien construit une architecture électorale où le parti au pouvoir, le RHDP, devient le bras institutionnel de l’État.
Ce phénomène, que Francis Akindès qualifie de « fusion organique entre l’appareil partisan et l’administration », témoigne d’une volonté de maîtriser simultanément les dynamiques locales et nationales.
1. Légitimation régionale et succession maîtrisée
Par exemple, la décision du président qui inciterait Tiémoko Meyliet Koné, vice-président de la République, à se présenter à Tafiré, sa région d’origine, relève d’une logique de légitimation territoriale calculée.
Dans un système où la succession se prépare avant même d’être annoncée, Ouattara cherche à conférer à son dauphin institutionnel une assise symbolique et électorale propre.
Ce mécanisme illustre ce que Mathias Hounkpe appelle « l’ingénierie de la loyauté ». C’est-à-dire l’intégration politique des élites régionales dans la continuité du régime central.
Ainsi, le pouvoir exécutif ne délègue pas, il dérive ses relais dans les territoires pour maintenir un équilibre. Equilibre entre visibilité démocratique et cohérence hiérarchique.
2. La patrimonialisation du pouvoir : entre famille et appareil d’État
La désignation de Téné Birahima Ouattara à Abobo, ministre de la Défense et trésorier du RHDP, illustre le socle de la confiance politique. Garantissant un contrôle absolu sur les circonscriptions électoralement stratégiques.
Abobo, l’un des plus vastes bassins électoraux du pays, n’est pas un simple choix géographique. C’est un verrou de pouvoir, à la fois symbolique et logistique.
En y plaçant son frère cadet, le chef de l’État transforme la fidélité familiale en outil de gouvernance territoriale. Fusionnant sphères publique et privée dans un modèle de patrimonialisme administratif.
Comme le souligne Achille Mbembe dans De la postcolonie (2000), « le pouvoir en Afrique se réinvente sans se transformer : il concentre pour mieux diffuser ».
La nomination d’Yves Brahima Koné, directeur du Conseil du Café-Cacao, sur la même liste électorale, traduit ce principe : la puissance économique soutient la légitimité politique, et inversement.
3. Un maillage politique centralisé sous couvert de compétition électorale
Dans la même logique, Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale, quitterait Agboville pour Yopougon, commune hautement symbolique du paysage politique abidjanais.
Cette mutation orchestrée n’est pas un simple ajustement électoral. Elle relève d’une rationalisation du pouvoir local au profit du centre.
Pierre Dimba, ministre de la Santé, reprend le flambeau à Agboville. Garantissant la continuité du contrôle présidentiel sur la région.
Cette circulation des élites politiques au sein des bastions du RHDP illustre un hyper-présidentialisme électif. Chaque nomination y devient un acte d’équilibre entre centralisation et cooptation.
Ainsi les régimes africains contemporains oscillent entre l’État fort et la pluralité contrôlée, où l’ouverture démocratique reste une vitrine.
Sous couvert de compétition électorale, le RHDP se recompose comme un dispositif de verrouillage territorial. Assignant à chaque commune une loyauté institutionnalisée.
4. Gouverner par le territoire : la logique du quadrillage politique
Au-delà des apparences, la stratégie d’Ouattara s’inscrit dans une vision de gouvernance territoriale intégrée, où la légitimité politique découle du contrôle spatial.
Le pouvoir se veut omniprésent, non par la coercition, mais par l’encadrement méthodique des représentations locales.
Comme le rappelle Bayart, « la longévité du pouvoir africain repose sur la capacité à faire circuler la richesse, la reconnaissance et la peur ».
En plaçant des fidèles dans chaque commune, le chef de l’État met en œuvre une politique de capillarité, où le territoire devient le prolongement de la présidence.
Le parti n’est plus l’expression d’une pluralité. Mais le réseau de légitimation d’un pouvoir exécutif centralisé. Garant d’un ordre politique stable, mais verrouillé.
Un autoritarisme électoral sous habits républicains
En somme, les investitures du RHDP ne relèvent pas uniquement d’une logique partisane. Mais d’une reconfiguration du champ politique national.
Ouattara consolide un système où le pluralisme s’articule à la centralisation du commandement, selon une conception du pouvoir que Francis Akindès résume ainsi :
« L’État ivoirien se construit moins contre la société que par la capture de ses forces vives, intégrées dans le projet présidentiel. »
Dans cette optique, chaque commune, chaque circonscription, devient un segment d’un pouvoir réticulaire. Les élites locales y agissent comme des relais d’un exécutif sans partage.
Le patrimonialisme d’État se réinvente ici en stratégie de continuité politique inscrivant la Côte d’Ivoire dans une modernité institutionnelle.
DR SACKO
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE
