« Ivoiriennes, Ivoiriens, chers amis de la Côte d’Ivoire, bonsoir. »
Il y a quarante-huit heures, notre pays a connu un exercice électoral. Cet exercice s’est déroulé dans un climat de peur et a été marqué par une participation très faible, visible et reconnue de tous.
Avant toute chose, permettez-moi de m’incliner respectueusement devant la mémoire de tous ceux qui ont perdu la vie. Pour avoir osé exprimer leurs opinions, comme le leur garantit la Constitution ivoirienne. À leurs familles, j’adresse mes plus sincères condoléances, ainsi que celles du PDCI-RDA.
Un membre des forces de l’ordre a également perdu la vie lors de ces malheureux événements. J’adresse nos condoléances attristées à sa famille et à ses proches.
Mes pensées vont aussi à tous les blessés, à ceux qui ont perdu leurs maisons et leurs biens. Ainsi qu’à ceux qui sont emprisonnés — certains pour s’être opposés au quatrième mandat, d’autres pour avoir simplement exprimé leurs opinions. Et d’autres encore sans aucune raison apparente. À leurs familles, nous exprimons notre compassion, notre soutien. Et notre promesse solennelle de lutter pour leur libération par tous les moyens légaux disponibles.
À toutes et à tous, j’exprime ma gratitude pour votre patience, votre courage et votre foi inébranlable en la démocratie. Merci de tenir bon. Merci de continuer à croire en notre idéal de nation. Et de refuser que les voix de millions d’Ivoiriens soient réduites au silence.
Mais parlons franchement : ce qui vient de se passer n’est pas une véritable élection. Ce à quoi nous avons assisté ne fait pas honneur à notre pays.
Avec le PPA-CI et le président Laurent Gbagbo, le PDCI-RDA, au sein du front commun, n’a cessé d’œuvrer. Pour éviter la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
Les faits sont clairs : le président Ouattara a brigué un quatrième mandat controversé.
J’ai moi-même été radié des listes électorales par décision de justice. D’autres figures majeures de l’opposition, parmi lesquelles Laurent Gbagbo, Affi N’Guessan, Vincent Toh Bi Irié, Assalé Tiémoko. Et bien d’autres, ont également été empêchées de se présenter.
Partout dans le pays, depuis le 2 octobre, les manifestations ont été réprimées par des gaz lacrymogènes. Des arrestations massives et une violence brutale. Au 25 octobre, les autorités faisaient état de plus de 700 personnes arrêtées, de dizaines de blessés graves et de plusieurs vies perdues.
Ivoiriennes, Ivoiriens, cet exercice électoral a divisé notre nation. Un pays qui a lutté pendant deux décennies pour retrouver la paix et l’unité. C’est d’autant plus regrettable qu’en 2011, la Côte d’Ivoire était portée par une vague d’espoir. Celle d’un peuple aspirant à la réconciliation.
Aujourd’hui, force est de constater que les divisions se sont creusées, que des communautés sont dressées les unes contre les autres. Des expéditions punitives ont été organisées. L’horreur est revenue dans certaines localités. À Nahio, des vies humaines ont été perdues, et une personne a été brûlée vive. Nous pensions que ce type de violences appartenait au passé. Nous nous sommes trompés.
Au lieu de nous rassembler, nous nous sommes divisés autour de cette élection, reculant ainsi dans la construction d’une véritable nation ivoirienne. Nous avons été nourris de slogans, dont le plus ironique — au regard de la situation actuelle — semble être celui du « vivre-ensemble ».
Nous tenons tous à la stabilité de notre pays, qui est notre bien commun.
Avons toujours estimé qu’une élection inclusive est le meilleur garant de cette stabilité. La continuité rassurante, en apparence, peut conduire à l’instabilité, car la soif de changement du peuple ivoirien est réelle. Les faits récents semblent malheureusement nous donner raison.
Le taux d’abstention, que certains cherchent aujourd’hui à manipuler, est en réalité le verdict du peuple : un rejet silencieux, mais puissant, d’un exercice électoral peu crédible.
Le 25 octobre 2025, il ne s’agissait pas d’une élection au sens démocratique du terme. Dans certaines localités, on annonce même un nombre de votants supérieur au nombre d’inscrits. Ce n’est pas cela, la démocratie.
Ivoiriennes, Ivoiriens, ne baissons pas les bras. Nous savons que la justice et la transparence sont les fondements du véritable développement et de la prospérité. La corruption n’est pas seulement un échec moral : c’est un désastre économique. Elle appauvrit tout un peuple, à l’exception d’une petite élite.
Si les milliards issus de vos impôts, parfois détournés, étaient investis en Côte d’Ivoire plutôt que dans des immeubles et propriétés à l’étranger, notre pays irait mieux et l’abstention ne serait pas à des niveaux records.
Des routes auraient été construites dans le Nord et l’Ouest, des centres de santé dans nos villages.
Et des écoles modernes pour nos enfants.
Nous ne pouvons plus permettre que les richesses nationales soient détournées pendant que notre peuple vit dans la misère.
C’est pourquoi j’appelle aujourd’hui toutes les forces vives de la nation — partis politiques, société civile, chefs religieux et traditionnels, jeunes et femmes surtout — à s’unir.
Nous rejetons la violence, car nous croyons au pouvoir des idées et à la force de l’unité, non à celle de la peur et des armes.
Il n’existe qu’un seul moyen de vaincre la fraude : la transparence et la vérité. Là où règne le mensonge, nous apporterons des faits. Là où règne la peur, nous apporterons de l’espoir.
N’ayant pas participé à cette élection, nous ne renonçons pas pour autant à agir, pacifiquement, courageusement et collectivement. Nous allons reconquérir notre démocratie.
Depuis mon élection à la présidence du PDCI-RDA, j’ai dû faire face à une série de procès et de procédures. Il semble que d’autres soient en préparation, selon lesquelles j’aurais lancé un appel à l’insurrection le 18 octobre.
Je renvoie chacun au message que j’ai publié ce jour-là, anniversaire du président Félix Houphouët-Boigny, où j’écrivais :
« Évitons, pendant qu’il en est encore temps, la voie sans issue créée par la manipulation, la violence, l’injustice et l’exclusion.
Jamais il n’est trop tard pour dialoguer. La paix est encore possible. Agissons maintenant. Le monde nous regarde. L’histoire nous jugera. »
La Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny, notre pays bien-aimé, doit demeurer une terre de paix. Que l’âme du Père fondateur repose en paix. Que la paix habite nos cœurs.
Ivoiriens, ne désespérons pas. Dans aucun pays, la démocratie ne s’est imposée sans résistance de la part des régimes autocratiques.
Je saisis cette occasion pour appeler à nouveau le pouvoir au dialogue.
Nous sommes dans une impasse ; seul un dialogue sincère peut nous en sortir. C’est le souhait profond de la majorité des Ivoiriens.
Un tel dialogue aurait pu éviter les incidents et les pertes de vies humaines que nous venons de connaître. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. J’espère que les autorités entendront cet appel.
Les morts, les blessés, les prisonniers et les rancunes sont les conséquences du refus du pouvoir d’écouter la société ivoirienne, y compris parmi ses propres partisans.
Le dialogue que nous appelons de nos vœux doit déboucher sur des engagements fermes, de toutes les parties.
Pour garantir durablement l’unité nationale et la paix, dans le respect de notre diversité.
Une autre Côte d’Ivoire est possible — une Côte d’Ivoire que nous construirons ensemble.
Au PDCI-RDA, nous prenons cet engagement solennel. Notre parti porte une vision claire, un projet cohérent pour une Côte d’Ivoire réconciliée, moderne et unie.
Je salue et remercie nos militants et sympathisants pour leur courage et leur détermination. Nous continuerons à nous battre pacifiquement, non avec des armes, mais avec de l’espoir. Non en divisant, mais en rapprochant et en réconciliant.
Ivoiriennes, Ivoiriens, chers amis de la Côte d’Ivoire, nous venons de vivre un moment difficile de notre histoire, mais ensemble, nous le transformerons en un moment d’éveil et de renouveau.
Engageons-nous à construire une Côte d’Ivoire qui appartient à tous, sans distinction d’origine, de religion, d’ethnie ni de culture, dans le respect de l’État de droit.
Notre cause est juste, et c’est pourquoi elle triomphera. Ensemble, nous retrouverons notre démocratie. Ensemble, nous restaurerons notre dignité. Nous bâtirons cette Côte d’Ivoire réconciliée que nous savons possible.
Vive la Côte d’Ivoire. Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire.
TIDJANE THIAM, Président du Pdci-Rda
Paris 27 octobre 2025
POUVOIRS MAGAZINE
