Montée de violence: les faucons du pouvoir indexés

3 semaines

La Côte d’Ivoire traverse une période où la parole publique devient étincelle. Non pas à cause d’un président qui parle trop.

Mais de faucons zélés qui, en croyant défendre le pouvoir, risquent d’allumer les flammes qu’ils prétendent éteindre.

Quand le gouvernement adopte les postures de l’opposition, que reste-t-il à cette dernière sinon l’excès et le tumulte ? Réflexion sur une rhétorique qui blesse plus qu’elle ne protège.

Il y a des silences présidentiels qui pèsent moins lourd que les cris de leurs lieutenants. En Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara se fait discret, mesuré, presque distant dans sa parole. Pourtant, c’est autour de lui que le bruit enfle, les muscles se bandent, et les mots claquent comme des coups.

Car ce ne sont pas les discours brefs du chef de l’État qui troublent la paix sociale, mais ceux de ses faucons. Ces ministres, communicants, élus et porte-voix zélés qui, parfois investis d’un mandat réel, souvent simplement grisés par le pouvoir, ont fait de l’arène politique un ring de joutes verbales agressives.

Le ministre de la Défense, Tené Birahima Ouattara, n’avait pas besoin de s’en prendre publiquement à Damana Pickass. Ce geste, qui se voulait autoritaire, a surtout sonné comme une provocation. À quoi bon désigner un adversaire quand on tient déjà toutes les cartes ?

Quant à Mamadou Touré, ministre de la Jeunesse et patron d’un outil de communication aussi stratégique que RTV, son discours enflammé dans un stade presque vide ressemble davantage à une scène de théâtre mal jouée qu’à une stratégie politique. « Jamais, jamais, jamais on ne laissera les gens vous attaquer ! » disait-il. Mais où était l’attaque ? D’où venait la menace ? Et à qui s’adressait-il vraiment, sinon à un auditoire déjà acquis ?

Le vrai courage politique ne consiste-t-il pas à apaiser là où l’on pourrait exciter ?

À rassurer plutôt qu’à galvaniser ? Le pouvoir, c’est la force tranquille. Ce n’est pas une posture d’opposant.

Et que dire de Bacongo, d’Adjoumani ou de Bictogo ? Des figures aguerries, mais dont certaines interventions publiques flirtent plus avec la rhétorique de la peur qu’avec l’élégance de l’État. Le ministre de la Communication, lui, manie un verbe qui, au lieu de lisser les tensions, les aiguise.

En politique, la parole est une arme. Elle peut panser, mais elle peut aussi blesser. Le philosophe Paul Ricoeur écrivait : « Le pouvoir de dire, c’est aussi le pouvoir de faire exister ». En disant la guerre, on la prépare. En parlant de menaces, on les construit. En criant au complot, on l’installe dans les imaginaires.

Ainsi, l’opposition suit le tempo. Elle s’excite, elle aussi, se sentant agressée, attaquée, légitimée à répondre coup pour coup. Le cycle s’installe : surenchère contre surenchère, bruit contre bruit, flamme contre étincelle. Et au bout du cycle, souvent, il n’y a plus de politique, seulement de la gestion sécuritaire.

Ce pouvoir, qui dispose de l’armée, de la police, de la gendarmerie, doit se garder de lâcher des faucons au langage de milice. Il n’a rien à prouver par les mots. Il a les leviers de la République. Il doit donc parler avec la hauteur de l’État, non avec la fébrilité du militant.

Le vrai pouvoir, c’est celui qui peut se permettre de ne pas hausser le ton. Le vrai chef, c’est celui qui n’a pas besoin de frapper pour se faire entendre. Si la démocratie est un théâtre, alors que chacun y tienne son rôle : à l’opposition le cri, au pouvoir le calme. Sinon, c’est toute la pièce qui s’effondre.

JULIEN BOUABRE

photo:dr

POUVOIRS MAGAZINE

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