Après une année de crise dans le diocèse de Man, le 27 décembre 2024, le pape François a nommé le cardinal Jean-Pierre Kutwa administrateur apostolique, avec tous les pouvoirs, afin de ramener la paix.
À ce jour, les prêtres de Man s’interrogent sur la véritable nature de la mission confiée à l’archevêque émérite d’Abidjan, ainsi que sur sa capacité réelle à réconcilier les parties en conflit dans leur diocèse.
Une crise ouverte
Le jeudi 4 janvier 2024, l’évêque de Man, Mgr Béby Gneba Gaspard, a publiquement accusé, lors d’une déclaration radiophonique, les prêtres de son diocèse d’avoir failli à leurs vœux de célibat et de pauvreté. En réaction à ces accusations jugées inhabituelles, les prêtres ont adressé une lettre au pape François afin de les contester et de livrer leur propre version des faits.
Ils ont informé le Saint-Père des méthodes autoritaires de Mgr Béby Gaspard, dénonçant ses humiliations répétées envers le clergé, ainsi que de supposés détournements de fonds destinés à des projets financés par le Vatican, projets qui n’auraient jamais vu le jour.
C’est dans ce climat de crise que le pape a mandaté un visiteur apostolique, en la personne de Mgr Roger Houngbédji, archevêque de Cotonou. Selon certaines sources, celui-ci aurait rédigé un rapport favorable aux prêtres de Man. Toutefois, ce rapport aurait été minimisé, voire ignoré, par des acteurs influents entre Man, Abidjan et Rome.
L’arrivée d’un espoir… vite déçu
La nomination du cardinal Jean-Pierre Kutwa comme administrateur apostolique avait suscité un regain d’espoir. Mgr Gaspard Béby ayant provoqué un profond malaise au sein du clergé local, la désignation du cardinal, avec pleins pouvoirs sur le diocèse, laissait espérer une gouvernance plus synodale et transparente.
Mais très vite, le ton a changé. Dès son arrivée, le cardinal a établi une liste de personnes — prêtres et laïcs — à auditionner. Selon les témoignages de plusieurs prêtres, son attitude laisse penser qu’il agirait plutôt en faveur d’un éventuel retour de Mgr Béby, ce qui remet en question la mission qui lui avait été confiée.
Des méthodes jugées inquisitoriales
Le cardinal Kutwa aurait soumis ses interlocuteurs à des interrogatoires perçus comme orientés, soupçonneux, voire accusateurs. Il semblerait qu’il cherche à discréditer le rapport de Mgr Houngbédji et à convaincre les prêtres qu’ils sont en tort dans le conflit qui les oppose à leur évêque. Autrement dit, Mgr Béby aurait eu raison de les accuser publiquement de manquements à leurs engagements sacerdotaux.
Mais selon plusieurs prêtres, le plus inquiétant restait à venir. Constatant le refus du clergé local d’accepter le retour d’un pasteur jugé autoritaire, le cardinal Kutwa aurait instauré ce que certains qualifient de « tribunal d’inquisition », destiné à identifier et sanctionner les prêtres soupçonnés d’incontinence.
Un climat de méfiance grandissant
Ces derniers temps, le cardinal multiplierait les interrogatoires auprès des prêtres, cherchant à les intimider afin qu’ils acceptent l’autorité de Mgr Béby. Cette méthode, disent-ils, reflète une incapacité à résoudre la crise avec sagesse et discernement.
Plus grave encore : le cardinal interrogerait plusieurs prêtres sur leurs relations avec des femmes supposées être leurs compagnes, tout en refusant de révéler l’identité de ses informateurs. Une pratique perçue comme encourageant les rumeurs, la délation et la diffamation. Le clergé local estime que cette forme d’inquisition comporte de sérieux risques et pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour l’ensemble de l’Église catholique de Côte d’Ivoire.
Une ligne de défense affûtée
Face à cette situation, les prêtres de Man affirment qu’ils n’accepteront pas le retour de Mgr Béby Gaspard. Ils dénoncent des méthodes que le cardinal Kutwa n’aurait jamais utilisées dans ses précédents diocèses — Gagnoa et Abidjan.
Ils rappellent également un épisode récent, rapporté par la presse française, concernant un prêtre, filleul du cardinal, qui aurait été condamné en France pour des faits graves, alors même qu’il occupait un poste de responsabilité sous l’autorité du cardinal. Ce cas, selon eux, serait bien plus grave que les accusations actuelles formulées contre les prêtres de Man, aujourd’hui victimes de diffamation.
Une Église fragilisée
Dans tout le clergé ivoirien, des voix s’élèvent pour affirmer que le cardinal Kutwa prend de grands risques — non seulement pour lui-même, mais aussi pour ses confrères évêques et pour l’ensemble de l’Église catholique de Côte d’Ivoire, déjà fragilisée par son incapacité à jouer un rôle moteur dans la construction de la paix nationale.
Les prêtres de Man, cette fois, ne comptent pas se taire. Et la crise semble encore loin de son dénouement.
Une sortie souhaitable ?
Au vu des critiques croissantes à l’égard de sa gestion de la crise, nombreux sont ceux qui pensent que le cardinal Kutwa n’est pas la solution aux problèmes du diocèse de Man. Et si solution il a, elle ne serait, selon plusieurs prêtres, ni inspirée ni efficace. À 80 ans, peut-être serait-il temps, disent-ils, de lui suggérer de se retirer.
« Il faut savoir partir », concluent certains.
Par Jean-Pierre DROH KÉI
Correspondant régional à Man –
Pouvoirs Magazine
