Malgré la raréfaction des ressources halieutiques, Abidjan autorise à nouveau les navires européens à pêcher dans ses eaux.
Un accord controversé, à contre-courant de la tendance régionale, qui soulève des questions sur la souveraineté, l’écologie et la résilience alimentaire ivoirienne.
Les chalutiers européens, longtemps tenus à distance des eaux ivoiriennes, y sont désormais de nouveau officiellement les bienvenus.
Le 6 juin dernier, Bruxelles et Abidjan ont signé un accord autorisant la pêche de 6 100 tonnes annuelles de thon.
En contrepartie, l’Union européenne versera 740 000 euros par an, soit près de 3 millions d’euros sur quatre ans.
Cette somme marque une hausse de 8,5 % par rapport au précédent accord, expiré en 2024 sans être renouvelé immédiatement.
Le texte concerne notamment des espèces migratrices dont les stocks s’effondrent à l’échelle régionale selon plusieurs rapports scientifiques indépendants.
Le Gabon et le Sénégal, pourtant partenaires historiques de l’UE, ont récemment renoncé à ces accords invoquant l’urgence écologique.
En Côte d’Ivoire, la pêche industrielle ne pèse que 0,5 % du PIB mais alimente des centaines de milliers de familles.
Selon le ministère ivoirien des Ressources animales, plus de 100 000 emplois directs dépendent du secteur halieutique.
Près de 580 000 emplois indirects y sont aussi liés, dont un tiers occupés par des femmes dans la transformation artisanale.
Pourtant, la mer ivoirienne s’appauvrit à vue d’œil : moins 20 % de production entre 2016 et 2023, selon les chiffres officiels.
La pêche artisanale, censée nourrir les Ivoiriens, couvre à peine 15 % de la demande nationale en poisson frais.
Le reste, entre importation congelée et captures industrielles, reste inaccessible à de nombreuses populations vulnérables.
Les associations de pêcheurs dénoncent des accords déséquilibrés, où la ressource locale se transforme en matière première d’exportation.
Les ONG écologistes parlent d’une privatisation à bas prix d’un bien commun stratégique : l’océan et sa biodiversité.
À Bruxelles, l’accord est salué comme un modèle de coopération durable, alliant contrôle, quotas et soutien aux communautés locales.
Mais sur les quais d’Abidjan, rares sont ceux qui sentent le bénéfice d’un protocole jugé lointain, flou, technocratique.
« On ne pêche plus rien comme avant. Mais eux, avec leurs machines, ils ramassent tout », soupire un pêcheur d’Adjamé.
Face au manque de transparence, des élus locaux appellent à renégocier un accord plus équitable et respectueux de l’écosystème marin.
La Côte d’Ivoire doit-elle sacrifier sa mer pour quelques devises ? Ou repenser un modèle qui la rend dépendante et vulnérable ?
Quand l’océan s’appauvrit, c’est tout un pays qui finit par avoir faim. Les poissons ne votent pas. Les pêcheurs, oui.
JM AHOUSSY
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE
