Entre l’engouement que suscite le concours de beauté et l’indifférence autour du cacao, un pays comme la Côte d’Ivoire peut-il se priver de passion pour ce qui le nourrit et le fait vivre ?
Le concours Miss Côte d’Ivoire 2025, dont la contribution au produit intérieur brut (PIB) – sauf respect pour la culture, les arts et le spectacle – demeure minime, a connu son apothéose le 28 juin à Abidjan, sur fond de forte charge émotionnelle et de vive polémique.
Concours innovant
On aurait aimé voir l’engouement suscité par la beauté, irriguer la filière cacao. Pourquoi pas une coupe nationale du progrès, version « remasterisée » ?
Un concours véritablement innovant, avant-gardiste, qui impliquerait les 31 régions du pays. Et serait porté conjointement par les ministères de l’Agriculture et du développement rural, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, du Tourisme et de la Culture.
Doté du grand prix d’excellence du président de la République, ce concours transversal servirait de terreau pour enfin repenser l’économie du cacao d’un pays dont le succès continue de reposer sur l’agriculture.
Il impliquerait les conseils régionaux, verrait coopératives, start-ups, collèges, lycées agricoles et d’enseignement général, universités et collectivités locales rivaliser de génie en matière de transformation, packaging, tourisme, traçabilité, digitalisation, gastronomie, valorisation des sous-produits afin de replacer l’église ou la mosquée au centre du village et rendre à la cabosse, cette reine trop peu célébrée qui façonne pourtant la vie de millions d’Ivoiriens, la place qui lui revient.
Sous-estimé
Premier producteur mondial avec près de 2 millions de tonnes sur la saison 2024-2025, selon l’International Cocoa Organization, la Côte d’Ivoire assure près de 40 % de l’offre globale. Et fait vivre près de 7 millions de personnes. Pourtant, 65 ans après l’indépendance, elle se contente encore d’alimenter les usines de la planète en fèves. Sans investir massivement dans la matière grise de la filière. Aucune université dédiée, aucun pôle d’excellence, aucun événement national d’envergure pour mobiliser les énergies et les dynamiques innovantes. Un service minimum en termes de buzz pour cette filière qui structure notre identité nationale.
Efforts notables
Il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain. La filière évolue. Des efforts notables de transformation locale se multiplient, grâce à l’implantation d’acteurs majeurs. Ainsi, la Côte d’Ivoire transforme désormais environ 35 % de sa production, contre 15 % il y a une décennie. Les initiatives de certification et de traçabilité progressent. Contribuant à améliorer les revenus des planteurs. Des centres de recherche (Cnra, Firca) et des partenariats universitaires s’attachent à l’amélioration des variétés. Et à la lutte contre les maladies. Mais la dynamique d’innovation reste timide. La filière peine à se réinventer et à s’adapter pour attirer une jeunesse en proie au chômage.
À titre de comparaison, le Ghana transforme 40 % de son cacao. L’Équateur mise sur la valorisation locale, la formation et le tourisme autour de sa culture du cacao.
Gisement d’emplois
Les opportunités sont immenses. Au-delà du planteur, c’est tout un univers de métiers qui pourrait absorber la jeunesse ivoirienne. Ingénieurs agronomes, techniciens de fermentation, contrôleurs qualité, négociants, transformateurs locaux, logisticiens, data analysts, guides touristiques, juristes, animateurs d’ateliers, gestionnaires de musées… Chaque maillon de la filière, de la plantation à l’expérience touristique, est un gisement d’emplois nouveaux, stables et qualifiés.
Dans un pays normal, combattre le chômage, bâtir une économie inclusive et innovante, forger une identité forte autour de l’or brun devraient aussi faire vibrer les foules et alimenter les débats télévisés. À quatre mois de la présidentielle, il est regrettable que les candidats à la magistrature suprême brillent par leur silence sur le sujet. Préférant brasser l’écume. Ils oublient qu’avec une filière structurée, la Côte d’Ivoire à l’opportunité de faire du cacao un véritable levier d’insertion pour sa jeunesse. Au-delà de la propagande officielle, près d’un jeune sur cinq est touché par le chômage.
Avantages comparatifs
La théorie des avantages comparatifs de David Ricardo, économiste britannique du XIXᵉ siècle, aurait voulu que notre pays bâtisse son excellence sur ce qu’il fait de mieux. Le Brésil a son université du café, la France ses écoles du vin, la Suisse ses laboratoires du chocolat…Et la Côte d’Ivoire ? Pas même une école maternelle où l’on apprendrait aux enfants à aimer le cacao, a fortiori une université. L’ambition nationale s’arrête trop souvent aux chiffres de l’exportation. Premier en fèves, dernier en idées !
Quelle ambition ?
À l’ère de l’entrepreneuriat triomphant, la Côte d’Ivoire multiplie incubateurs, hackathons et concours de pitchs. Mais sidère l’opinion par son incapacité à offrir à ses planteurs et ingénieurs un sanctuaire académique. Pour forger les champions du cacao du XXIe siècle. Aveuglement stratégique quand tu nous tiens ! À quoi bon dominer les statistiques mondiales si la valeur ajoutée, l’expertise et la recherche restent importées ?
On vante la transformation locale et l’innovation. Mais la formation demeure dans les labyrinthes de l’oubli. Plus qu’un symbole, construire une université dédiée aux métiers du cacao apparaitrait comme l’acte fondateur de la transformation structurelle de l’économie ivoirienne. Cela donnerait au pays la capacité de transformer sur place, d’innover localement, de capter la valeur ajoutée… Et de passer d’une économie de rente à une économie de création.
Dynamique touristique et identité mondiale
Créer une dynamique touristique, donner à la Côte d’Ivoire une marque mondiale et une identité forte autour du cacao, imaginer des routes du cacao, des musées, des festivals, des circuits de dégustation. Le défi est tout aussi alléchant qu’excitant.
Malheureusement, plus facile à dire qu’à faire quand investir dans les cerveaux ne semble pas encore une priorité. Pendant encore combien de temps, la Côte d’Ivoire va-t-elle continuer à se priver de passion pour ce qui le nourrit et le fait vivre ?
ETAU.NET
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE