L’assurance face à ses paradoxes : entre protection vitale et facteur de vulnérabilité systémique

3 semaines

Dans ce texte incisif signé Camus Bomisso, spécialiste en gestion des risques et collaborateur extérieur à Pouvoirs Magazine, l’auteur explore les transformations profondes du secteur de l’assurance à l’heure des mutations climatiques, des incertitudes économiques et des déséquilibres réglementaires.

L’assurance est un pilier fondamental du système financier mondial, facilitant l’innovation et la prise de risque dans des secteurs variés.
Dès l’origine, les mécanismes assurantiels ont permis à l’humanité de mutualiser les pertes et accroître ses chances de survie collective.
Toutefois, cette protection indispensable est traversée par des failles telles que l’aléa moral et la sélection adverse, bien connues.
L’aléa moral survient lorsqu’un assuré prend davantage de risques, sachant qu’un tiers en assumera potentiellement les conséquences futures.
La sélection adverse, quant à elle, résulte d’une asymétrie d’informations entre assureur et assuré sur le niveau réel de risque.
Ces déformations peuvent conduire les assureurs à facturer des primes plus élevées ou mal calibrer la couverture des sinistres.
Dans certains cas, cela peut entraîner une concentration involontaire de clients à haut risque, créant un déséquilibre systémique grave.
Les gestionnaires de risques doivent donc évaluer continuellement ces dérives pour préserver la viabilité des modèles assurantiels existants.
Le secteur fait également face à des risques émergents dus à la hausse des catastrophes naturelles et aux changements climatiques durables.
Dans des régions comme la Floride ou la Californie, plusieurs compagnies d’assurance fuient les marchés devenus économiquement intenables.
Le retrait des assureurs traditionnels fragilise le tissu économique local et crée un besoin de couverture publique en dernier recours.
Ces dispositifs sont souvent financés par l’État, mais leur pérennité devient incertaine face à la multiplication des événements extrêmes.
Une autre conséquence est l’instabilité des prêts immobiliers dont la viabilité dépend étroitement d’un accès fiable à une assurance abordable.
En l’absence de couverture, les risques liés à un sinistre augmentent pour les emprunteurs, les prêteurs et les marchés financiers globaux.
La hausse continue des primes peut aussi fragiliser les ménages, réduire leur consommation et affecter l’ensemble du tissu entrepreneurial.
Pour anticiper ces effets en chaîne, quatre stratégies concrètes sont proposées à l’usage des gestionnaires de risques modernes.
Premièrement, revoir régulièrement les contrats afin de s’assurer que la couverture suit l’évolution des risques et des conditions.
Deuxièmement, diversifier les expositions aux contreparties pour réduire la dépendance à une seule institution ou marché assureur.
Troisièmement, mener des stress-tests et analyses de scénarios pour identifier les vulnérabilités invisibles dans les chaînes de couverture.
Enfin, envisager des polices d’assurance pluriannuelles offrant davantage de stabilité dans des contextes de taux volatils ou de rareté.
Ces stratégies permettent de limiter les effets domino qui pourraient transformer une absence d’assurance en crise financière généralisée.
Le marché de l’assurance joue aussi un rôle subtil dans l’allocation des ressources via ses signaux tarifaires à forte valeur comportementale.
En fixant des primes élevées, il dissuade certains comportements à risque et oriente l’économie vers des zones plus résilientes.
Cependant, l’intervention publique mal ajustée ou la réglementation excessive peuvent parfois aggraver les distorsions déjà présentes.
Les gestionnaires doivent donc s’armer d’outils de veille stratégique, de données précises et de modèles robustes pour faire face.
Le défi consiste à anticiper les ruptures de contrat ou de disponibilité de couverture dans des zones désormais à haut risque.
L’assurance, mal pensée, peut en effet devenir un catalyseur de crise au lieu d’un amortisseur des chocs économiques ou climatiques.
Il convient de repenser ses fondations pour renforcer son rôle historique : répartir le risque tout en stimulant la croissance durable.

CAMUS BOMISSO

photo:dr

POUVOIRS MAGAZINE

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