L’affaire fait grand bruit, au moment même où l’Afrique espère voir l’un de ses fils accéder au trône de Saint Pierre.
La presse internationale s’étonne : on aurait modifié l’annuaire pontifical pour réintégrer le cardinal burkinabè Philippe Nakellentuba Ouédraogo parmi les électeurs du futur pape. Alors même qu’il a officiellement fêté ses 80 ans le 25 janvier 2025 — âge limite pour participer à un conclave.
Or, contre toute attente, ce dernier figure de nouveau sur la liste des cardinaux électeurs. Son entourage affirme désormais qu’il serait né non pas en janvier, mais en décembre 1945. Un changement de date de naissance jugé opportun, voire suspect, par de nombreux observateurs.
Une pratique connue, mais mal perçue
Les cas de dates de naissance multiples ne sont pas rares en Afrique. Il est courant, notamment pour les personnes âgées, d’être officiellement nées le 1er janvier, faute d’enregistrement précis à l’état civil. Le cardinal Ouédraogo n’échappe pas à cette règle. Ce flou administratif aurait pu passer inaperçu si la santé chancelante du pape François n’avait ravivé les spéculations autour d’un conclave imminent.
Jusqu’à l’annuaire pontifical de 2024, Philippe Ouédraogo était clairement identifié comme étant né le 25 janvier 1945 à Konéan, dans le nord du Burkina Faso. Cette date le rendait inéligible au conclave dès le 25 janvier 2025, conformément au droit canon. Or, en 2025, on a discrètement introduit une nouvelle date de naissance, le 31 décembre 1945, dans ses documents officiels. Le rendant à nouveau électeur.
Cette rectification tardive, survenue alors que s’ouvraient les congrégations générales préparatoires, a aussitôt suscité des interrogations. A Rome et dans le monde catholique. Elle rappelle le cas controversé du cardinal italien Angelo Becciu, exclu du conclave par le pape François pour des raisons disciplinaires. À Rome, ces deux figures sont désormais au cœur de toutes les conversations.
Philippe Ouédraogo participera-t-il au conclave qui s’ouvre le 7 mai ? Plusieurs sources affirment qu’il aurait convaincu ses pairs que les incertitudes autour des dates de naissance sont monnaie courante en Afrique, et que sa véritable date serait bien le 31 décembre 1945. Or, cette date n’apparaît nulle part dans son parcours antérieur.
Les arguments du cardinal
Le cardinal Ouédraogo ne nie pas l’ambiguïté autour de son âge. Il invoque une réalité bien connue sur le continent africain. L’existence d’une date de naissance « administrative », souvent différente de la date réelle. Ce phénomène remonte à l’époque coloniale, lorsque les documents d’état civil étaient approximatifs, voire inexistants. Dans bien des cas, les dates étaient modifiées pour des raisons scolaires ou professionnelles.
Cependant, ce qui intrigue, ce n’est pas tant le fait qu’il existe un flou, mais que ce flou soit opportunément corrigé à un moment aussi critique. Depuis le début de sa carrière ecclésiastique, c’est bien la date du 25 janvier 1945 qu’on a é utilisée pour calculer son âge. Ses nominations et son départ à la retraite. Lorsqu’il a quitté ses fonctions d’archevêque de Ouagadougou le 16 octobre 2023, à 78 ans, aucune autre date n’était évoquée.
En modifiant son âge pour redevenir électeur à 79 ans, Philippe Ouédraogo a suscité des doutes. Le journal La Croix parle d’un changement « discret », voire « suspect », d’un homme « rené » pour voter. En effet, on a émis une nouvelle pièce d’identité en 2025 mentionnant sa naissance au 31 décembre 1945. Pourtant, au Burkina Faso, tant au sein de l’Église que du clergé local, tout le monde sait qu’il est né officiellement le 25 janvier.
Une controverse nuisible à l’image de l’Afrique
Alors que les regards du monde sont tournés vers le Vatican pour le conclave du 7 mai, cette controverse ternit l’image de l’Église africaine. Pour plusieurs médias internationaux, le cardinal burkinabè aurait délibérément modifié ses papiers pour influencer l’élection du prochain pape. Un geste perçu comme une manœuvre, qui alimente les stéréotypes sur les pratiques douteuses des élites africaines. Y compris ecclésiastiques.
Cette affaire risque de peser lourd dans l’évaluation des cardinaux africains. Dont plusieurs espèrent un jour accéder au trône de Pierre. Il semble peu probable que ce soit pour cette fois. Peut-être lors d’un prochain conclave, lorsque le pays des Hommes intègres évitera de délivrer une nouvelle identité à un cardinal « rené », juste pour participer à l’élection du pape.
ETHAN GNOGBO
photo: dr
POUVOIRS MAGAZINE