Entretien(1) Pierre Kipré: « il y a une grande paresse dans une large partie de l’élite africaine »

3 semaines

 Pouvoirs Magazine a reçu un grand défenseur de la pensée africaine. Il s’agit du professeur Pierre Kipré, ministre, ambassadeur, historien, professeur d’histoire. Un intellectuel de haut rang qui a bien voulu nous entretenir sur les cultures endogènes et leur place dans la société d’aujourd’hui. Nous vous proposons la première partie de cet échange.

Pouvoirs Magazine: Professeur Kipré, la pensée africaine a longtemps été disqualifiée par la science occidentale. Quelles actions concrètes peut-on entreprendre pour restaurer cette culture africaine ?

Pierre Kipré : Lorsqu’on parle des cultures africaines, il faut rappeler que pendant longtemps, les occidentaux ont considéré qu’il n’y avait pas de véritable culture en Afrique. Cette vision méprisante a dominé dans le monde occidental. Cependant, les choses ont considérablement évolué. Aujourd’hui, ce sont avant tout les Africains eux-mêmes qui sont en première ligne pour faire connaître leur culture. Et les réalisations de leurs peuples. Une chose est certaine : la connaissance des cultures africaines a fait des avancées majeures. Notamment depuis les années 1950. Ces progrès sont à la fois le résultat du travail intellectuel d’Occidentaux curieux. Mais surtout des efforts des Africains eux-mêmes. Pour résumer cela, j’aime citer l’expression des intellectuels africains « rebelles » qui refusent l’exotisme, le primitivisme. Ou encore l’essentialisme africain. Ils refusent l’idée que la culture ou les cultures africaines doivent d’abord être perçues à travers un prisme européen.

Cette approche est celle d’une vision eurocentrée de l’histoire du monde.

Pouvoirs Magazine : Pourtant, au niveau de la population, il semble que cette prise de conscience ne soit pas encore suffisante. Le processus semble manquer de résonance, surtout au sein des classes populaires. Ne pensez-vous pas que le problème de la restructuration de la pensée africaine soit également lié à des décisions politiques ?

Pierre Kipré : Je dois dire que ce phénomène n’est pas propre à notre pays. Ce que je constate, c’est qu’il y a une grande paresse dans une large partie de l’élite africaine. Une paresse à réfléchir, à s’intéresser aux choses de l’intellectuel, de l’intelligence. Il est important de faire une distinction ici, une distinction entre « intellectuel » et « diplômé ».

Pouvoirs Magazine: nous vous écoutons professeur

Ce n’est pas la même chose. Le diplômé est celui qui a passé des examens, obtenu un titre : ingénieur, docteur, etc. L’intellectuel, quant à lui, est quelqu’un qui, parfois sans diplôme, réfléchit. Se pose des questions sur le pourquoi et le comment des situations qu’il rencontre. Et tente d’apporter des réponses rationnelles.

Depuis toujours, l’Afrique a eu des intellectuels. Contrairement à ce que certains pourraient penser. Certaines populations africaines, bien avant l’arrivée des colonisateurs, écrivaient déjà dans leurs langues. On peut citer le Temné, le Mende, ou encore les anciennes écritures, comme l’Amrik en Éthiopie.

Les hiéroglyphes égyptiens, utilisés également dans ce qui est aujourd’hui le Soudan. De plus, certaines communautés africaines ont utilisé l’écriture arabe pour traduire leurs pensées philosophiques ou écrire des poèmes. Par exemple, les Peuls utilisaient la graphie arabe pour retranscrire leurs réflexions. Et si l’on se concentre sur le nord de la Côte d’Ivoire, des écrits en langue Malinké ou Sénoufo, rédigés avec une graphie arabe, ont été retrouvés. Bien que ces traces aient disparu, elles témoignent d’une riche tradition intellectuelle.

Entretien réalisé par

ALEX KIPRE

photo: POUVOIRS MAGAZINE

POUVOIRS MAGAZINE

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