Guy Labertit: « La France doit se remettre en cause en Afrique »

4 semaines

Son livre autobiographique est intitulé Anticolonialement vôtre ! (éditions Khartala). Il sera disponible à Abidjan dès la semaine prochaine. L’ancien délégué du Parti socialiste français chargé des questions africaines y raconte les péripéties de son militantisme politique de gauche. Quarante ans d’actions. En retrait, mais pas à la retraite de la vie politique ces dernières années. Il était occupé à titiller sa fibre musicale ou à consigner par écrit des réflexions politiques. Le camarade de Laurent Gbagbo assiste de loin aux changements politiques mondiaux, avec le sentiment qu’il y a encore des causes à satisfaire. Guy Labertit nous donne ici quelques repères sur son ouvrage, qui ne manquera certainement pas d’intéresser le public ivoirien…

« Anticolonialement vôtre ! » est le titre de votre autobiographie de militant politique qui sort dans quelques jours à Abidjan. Quels sont les principaux sujets sur lesquels vous vous livrez ?

Le sous-titre de l’ouvrage répond à votre question. C’est le récit de ma vie, de mes premiers engagements politiques sur le campus très cosmopolite de Bordeaux. C’était le reflet de l’histoire coloniale de cette ville et de la France, avec une forte présence de l’Afrique, des Antilles et de l’Océan Indien. J’y ai forgé mes convictions internationalistes, des amitiés solides et des solidarités encore vivaces aujourd’hui. D’où le titre du livre, Anticolonialement vôtre !.

Le Burkina Faso de Thomas Sankara, la lutte du peuple kanak conduite par Jean-Marie Tjibaou en Kanaky (Nouvelle-Calédonie). Les luttes clandestines pour le multipartisme en Afrique jalonnent les chapitres. J’ai partagé ces révoltes, ces espoirs pour un autre monde. Tout en agissant dans mon pays à travers des associations, le Parti socialiste unifié, au sein de la gauche radicale française. Ce récit fonde ce qu’a été plus tard ma conduite au PS. Et dans le champ politique français, que je décris et où perdure une mentalité coloniale. Mes précédents livres sur la Côte d’Ivoire et le Tchad témoignaient de ces luttes.

Comment jugez-vous votre carrière politique, dont vous tirez officiellement en quelque sorte la révérence à travers ce bouquin ?

En restant fidèle à mes convictions, je n’ai jamais eu l’intention de faire une carrière politique. J’ai toujours privilégié la qualité et la force des relations humaines dans mon action. Et ce n’est vraiment pas la bonne route pour faire ce que vous appelez une « carrière ». En publiant ce livre, je ne tire pas du tout une quelconque révérence à ce monde politique. Au contraire, je livre un témoignage qui peut être utile aux plus jeunes qui s’engagent en Europe. En Afrique ou ailleurs dans le monde, portés par des aspirations de justice sociale et de solidarité internationale.

Ce n’est pas du tout le récit d’un ancien combattant. Je me suis engagé avec le Nouveau Front populaire (en France, NDLR) lors des législatives de juillet dernier dans la ville de Vitry-sur-Seine (NDLR). J’y étais adjoint au maire jusqu’en 2020. Écrire ce livre est un geste, c’est ma façon de réaffirmer des convictions. Je souhaite les partager avec celles et ceux qui n’ont pas connu ce passé récent que je décris. Et qui rêvent d’un avenir meilleur, libéré de tutelles injustes, où ils prennent en main leur propre destin, leur propre Histoire.

Avez-vous le sentiment du devoir accompli, d’avoir atteint vos objectifs militants ?

Certainement pas. Mais je précise que des objectifs militants, ce sont des jalons qui évoluent au fur et à mesure du temps qui passe. On fait tout son possible pour les atteindre, on y contribue. Je peux dire que depuis mai 68 (!), la société française a connu des avancées, des droits nouveaux, des libertés nouvelles. Même si les rapports sociaux demeurent injustes.
Les causes pour lesquelles on s’engage, ce sont pour moi nos boussoles pour donner un sens, une cohérence à notre vie publique. Il y a des avancées et des reculs, et l’essentiel est de garder jusqu’au bout de son chemin le désir de les satisfaire.

Comment jugez-vous la perte de l’influence de la France aujourd’hui en Afrique, surtout francophone ?

Mon engagement international est né du rejet de la mentalité coloniale. J’ai bataillé pour de nouvelles relations entre l’État français et les États d’Afrique. J’ai vécu, notamment avec la Côte d’Ivoire, cette volonté de la France. Je parle de l’État et non du peuple de France, de lui confisquer son Histoire. C’est le forfait le plus récent et détestable de la Françafrique qui a été suivi par l’intervention de l’OTAN en Libye, à laquelle a participé la France.
Ces faits ont, je crois, fondé sur le continent africain une révolte de nouvelles générations mieux informées contre un ordre mondial injuste. Espérons que cela conduise l’État français à une remise en cause de ses rapports avec les États d’Afrique. Ce sont peut-être les premiers pas incertains vers une cause qui reste à satisfaire.

Interview réalisée par

HARON LESLIE 

photo:dr

Pouvoirs Magazine.

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