Dans le monde vibrant de la poésie et du slam, Alain Tailly se distingue par son engagement à former la nouvelle génération d’artistes oratoires. Amoureux de l’art de la parole, ce constructeur de l’École des Poètes partage sa vision d’un art capable de provoquer des changements sociaux. À travers ses spectacles et ses interactions avec des figures influentes, Tailly œuvre pour une prise de conscience collective. Tout en célébrant la beauté et l’importance des femmes dans la société.
Quelle est la nature de vos sacrifices en tant que formateur de jeunes poètes et slameurs ?
C’est essentiellement un investissement en temps. Pendant presque trois ans, de 2013 à 2016, nous avons consacré tous les premiers samedis du mois à la formation poétique des jeunes. Je dis « nous », parce que je suis l’initiateur du projet École des Poètes. Mais nous étions plusieurs formateurs : Kadhy Bomou, Henri Nkoumo, Azo Vauguy, Josué Guèbo, Bee Joe, Guy Amou…
Croyez-vous que le slam a le pouvoir de provoquer des changements sociaux ?
Il y a une petite nuance que je me dois de souligner. Ce que nous avons transmis aux jeunes n’est pas de l’art oratoire au sens strict, qui relève de la rhétorique. C’est plutôt un art de la parole. Une forme d’expression orale qui vise l’affect et les émotions, tandis que l’art oratoire cible l’intellect. Moi, j’ai l’avantage d’être à la fois orateur (art oratoire) et poète (art de la parole). Cela étant précisé, la présence active de dizaines de poètes dans la cité peut avoir plusieurs retombées. L’amélioration de la prise de parole en public, la libération de l’espace public, l’éveil des consciences. Et peut-être, à long terme, si nous atteignons une masse critique suffisante : le changement.
Comment conciliez-vous votre passion pour l’art oratoire et les réalités souvent difficiles de la société ivoirienne ?
Je n’ai pas à concilier, mais plutôt à exister. Exister en tant que poète, c’est faire connaître mon art, comme j’ai eu l’occasion de le faire devant des chefs d’État, des ministres, des élus, des diplomates, des chefs d’entreprise, mais aussi des cadres, des étudiants, des jeunes, des noctambules ou des amoureux de poésie.
Est-ce que finalement Nin’wlou ou Placide Konan, ce n’est pas vous et vous ce n’est pas Zadi ?
Dans la transmission de l’art poétique de père en fils, il y a toujours le dépôt impérissable du père dans le fils. En cela, et pour reprendre une image du poète Amédée Pierre, Bottey Zadi est la mère-crabe distributrice de dents, et moi Glôhi, je suis fier de porter ses dents. C’est certainement le cas pour tous ceux qui se réclament de moi. Et que j’ai baptisés « fils de légende » solennellement le 20 juin 2020 à la salle Kodjo Ébouclé du Palais de la Culture.
Qu’aimez-vous dans « This is a Man’s World » de James Brown, au point de ne pas hésiter à la reprendre ?
J’ai un amour incompressible pour le blues. « This is a Man’s World » de l’immense James Brown en est l’une des expressions les plus achevées. De plus, cette chanson parle de l’importance de la femme et du déséquilibre que son absence provoquerait dans cette société phallocratique, qui sait bien, pourtant, que l’homme ne serait absolument rien sans la beauté, la grâce, l’intelligence, l’intuition et la sensibilité de la femme !
Le public vous compare parfois à Bomou Mamadou, un autre orateur réputé. Comment vivez-vous cette comparaison ? Avez-vous des points de désaccord ?
Le public compare, cherche la polémique parce qu’il ne sait pas que Bomou Mamadou et moi avons une fraternité d’art qui ne saurait souffrir certaines comparaisons malveillantes. Nous nous vouons, du reste, respect mutuel et affection fraternelle. Pratiquement toutes les semaines, je reçois de Bomou un message de bénédiction, une prière ou une exhortation. C’est une inestimable marque de considération et d’attention. Par ailleurs, il arrive souvent que mon aîné me cède des « marchés » quand il n’est pas disponible, et que je lui fasse également appel pour ses talents de poète, de conteur ou de metteur en scène. Vous voyez bien que les choses sont fluides entre nous. Cela dit, j’ai quatre albums de poésie musicale à mon actif, ainsi que quatre spectacles : « Souffle d’Afrique » (Goethe, 2010), « Taamala voyageur » (IFCI, 2013, avec Bomou comme invité spécial), « EnfantiJazz » (Goethe, 2018) et « Nuit de légende » (Palais de la Culture, 2020).
Propos recueillis par
ALEX KIPRE
photo: dr
POUVOIRS MAGAZINE