Ruth Tafébé: « La musique est une arme »

2 mois

De partout: Bouaké, Harlem, Rennes et sa scène le liberté, Bushman, Bruxelles de Brel ou Paul Van Haver, Ruth Tafébé chante toutes les langues avec un profond respect du mode spécifique. Abijazz l’a contacté pour dire bien Fela le 11 octobre prochain à l’Institut. L’idée est bonne. On lit pourquoi. 

Votre actualité est le « Tribute to Fela » à la faveur de l’Ivoir jazz night d’Abijazz. Que savez-vous de Fela Kuti ?

Fela Kuti était un saxophoniste nigérian, fils d’une figure féminine majeure du Nigeria contemporain. Envoyé en Angleterre pour étudier la médecine, il a finalement choisi de se consacrer à la musique. C’est au Ghana, terre de percussions, qu’il a été inspiré pour créer ce style musical unique, l’Afrobeat, en collaboration avec son ami Tony Allen. De retour au Nigeria, il a fondé la République de Kalakuta et a épousé plus de 25 femmes en même temps, mais surtout, il s’est engagé dans une résistance politique sans faille. Il a exprimé cette résistance à travers ses textes puissants, un mode de vie « désoccidentalisé », et des formats musicaux hors normes. Fela est décédé en 1997.

 Comment avez-vous découvert Fela Kuti ?

Je l’ai découvert dans notre salon familial. J’avais environ 5 ans et je suis tombée sur une VHS de son concert à Berlin. J’ai été immédiatement fascinée par sa musique, ses danseuses, et sa présence scénique. Je trouvais son regard dur et sévère. Plus de 20 ans plus tard, j’ai rencontré des personnes qui l’avaient côtoyé de près, et grâce à elles, j’ai appris et compris beaucoup sur lui et le message qu’il transmettait à travers sa musique.

 Pourquoi, à votre avis, avez-vous été choisie pour le célébrer ?

Je suis la seule artiste ivoirienne à avoir produit deux albums d’Afrobeat classique. J’ai eu la chance de côtoyer et de collaborer avec Tony Allen, Chief Udoh, Oghene Kologbo, ainsi qu’avec de nombreux autres héritiers de cette musique, tels qu’Antibalas, Fanga, Les Frères Smith, Dele Sosimi, et Lagos Thugs, pour n’en citer que quelques-uns. En toute humilité, il aurait été surprenant que les organisateurs ne pensent pas à moi.

Qu’avez-vous découvert en interprétant Fela Kuti, sur lui d’abord et sur vous ensuite ?

Le morceau de Fela que j’ai choisi d’interpréter est l’un de mes favoris. L’introduction vous transporte en douceur et vous invite à écouter le monde avec bienveillance. Au fil de la chanson, l’optimisme se mêle au mystère, puis à la panique, avant de vous plonger dans la mélancolie. Fela n’était pas simplement en colère, il était aussi profondément triste.

L’Afrobeat m’a énormément appris sur mon identité en tant que femme africaine. Il m’a permis d’explorer la mentalité de Fela, tout en me poussant à questionner certains de ses choix. Le reggae avait déjà semé en moi l’idée que la musique était le moyen idéal d’exprimer un engagement. De tout cela, je retiens toujours cette vérité : « la musique est une arme. »

Est-il nécessaire d’avoir été formé dans une école pour déconstruire la musique ?

Il est essentiel d’avoir appris la musique, que ce soit à l’école ou de façon empirique. Il faut avoir pris le temps d’explorer son lien à la musique, de comprendre ce qui nous touche dans un son, une mélodie, une voix ou un texte. Partager la musique avec les autres est également crucial, tout comme savoir comment ils la perçoivent. De nombreux producteurs sont aussi DJ, ce qui leur donne un recul unique.

Que nous proposerez-vous en octobre ?

Je proposerai quelques-uns de mes morceaux, ainsi qu’une reprise d’un titre de Fela, avec tout l’esprit de l’Afrobeat.

Un mot pour le public ?

L’Afrobeat nous incite à mettre notre énergie créative au service de la communauté. Il apporte une force, parfois un peu agressive, qui est souvent nécessaire pour faire bouger ceux qui sont en position de force. Dans cette ère qui, malgré ses difficultés, porte en elle l’éveil d’un afroptimisme, l’Afrobeat est une source d’inspiration pour avancer vers une Afrique meilleure, pour les Africains et leurs véritables amis.

Interview réalisée par

ALEX KIPRE

photo: YLO Design Studios

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