L’opération à Adjamé Village provoque les colères et cependant elle se poursuit encore plusieurs jours.
C’est la chasse aux quartiers précaires du district d’Abidjan. Et le président Alassane Ouattara a donné carte blanche au gouverneur du district, Ibrahima Cissé Bacongo.
Ce dernier a mis sur pied une brigade spéciale composée de 295 agents pour cette mission. Tout casser.
Hier dimanche, l’équipe de Pouvoirs magazine était encore sur terrain et a pu récolter les réactions des riverains.
Suzanne Yapo: »Ce Bacongo là ehhhh »
Ange Gbalé : « il n’y a pas d’eau à boire depuis 4 jours on n’a pas d’eau. Il n’y a pas à manger. En tout cas c’est mon village qui est là. On ne sait pas comment on va faire. Franchement dit. Aidez-nous. Le jeudi, ça n’était pas facile, c’était l’enfer. C’était plus que la guerre »
COMME LA GUERRE
Fatime Konaré: » On est là mais on n’est pas tranquille. On sait pas comment ni où dormir. On n’sait pas quand est ce qu’ils arrivent. La nuit? Le matin? Depuis le jeudi la population n’a pas d’eau. Et vous voyez tout le monde qui est là puiser de l’eau là. On n’a pas courant. On n’sait pas où aller. Donc on est sur le site et les tuyaux cassés là, c’est dedans on tire l’eau qui coule là pour se partager entre nous. C’est une triste réalité on souffre. On souffre même.
Valentine Kacou: « Mon papa était malade. Il a eu un Avc donc il ne peut pas marcher. Je dis la machine est venue casser la maison alors que mon Papa était dans la maison, il ne peut pas bouger.
Je disais au machiniste ayez pitié. Ayez pitié. C’est déjà fait. Donc attendez on va faire sortir les malades, les vieillards, les bébés, tous ceux qui ne peuvent pas se gérer seuls. Ils ne m’écoutaient pas hein. Si tu veux faut mourir dedans. Eux on les a envoyés pour venir casser. Je dis Ah bon? Je dis voici l’étage de mon père qui est là.
On est en haut. Donc on voit tout. Et quand tu prends ton portable et que tu veux filmer, des jeunes qui ont porté des cagoules, prennent des lance pierres. Et lancent des cailloux dans chaque maison. Avant que les corps habillés n’arrivent les jeunes rentraient dans les cours pour casser les maisons. Ils avaient des sceaux remplis de cailloux et de lacrymogènes »
SUR LES LIEUX
Etienne Djako: « C’est dommage et c’est regrettable. Ce petit village que vous voyez, c’est lui qui a engendré la grande ville d’Abidjan dont tout le monde est fier aujourd’hui. Quand même. Même quand on veut faire des choses, il faut penser un peu quand même. Nous sommes des humains. nous sommes sur la terre. On n’a pas choisi de n’être ici. Soyons un peu humain. C’est Dieu qui nous a mis là. Au cause du développement on va maltraiter et mépriser les humains ».
Thomas Akpi Akrou: » Ce village Adjamé, c’est lui qui a donné ce qu’on appelle Abidjan. Si vous savez pas je vais vous le dire. Adjamé là? On dit Adja min à l’origine et ca signifie lieu de rencontre. Et tous les sept villages Ebrié là, c’est ici qu’ils font leur rencontre. »
Zaliyétou Tiagba: « Moi je suis Togolaise. J’ai quitté chez moi, je suis venue ici ça fait 40 ans. Maintenant ils sont venus hier, ils ont cassé. Moi oh, mes enfants oh, on n’sait pas où dormir. Tous les papiers école oh, maison oh, facture oh , on n’sait pas comment on va faire.
Les habitants d’Adjamé Village ont eu le malheur d’affronter les forces de l’ordre venues les expulser. Venues aussi détruire leurs habitations pour élargir l’avenue. Les pelleteuses sont arrivées à l’aube, entre 5 h 30 et 6 heures, sous protection policière.
Des échauffourées avaient déjà éclaté dimanche, mais les habitants pensaient que seuls les étals de commerces informels seraient concernés.
LACRYMOGENES
Jeudi, les riverains ont érigé des barricades pour freiner les engins de chantier.
Des vidéos montrent une pelleteuse en feu et des jeunes repoussant à coups de pierres les agents du district. « Même pendant les affrontements, ils continuaient de casser, » raconte un habitant. Des témoignages indiquent que des hommes cagoulés, armés de cailloux et de machettes, ont pillé les maisons détruites aux côtés des agents du district.
Les habitants ont d’abord repoussé les agents, mais la gendarmerie est intervenue en renfort. « Qu’est-ce qu’on a fait au gouvernement pour qu’ils viennent nous détruire ? » interroge Jacques N’Koumo, le conseiller principal du chef du village. La chefferie affirme qu’une personne est morte et plusieurs autres blessées, dont un grièvement, mais les autorités démentent.
Les opérations de destruction de quartiers jugés illégalement occupés ont déjà provoqué des altercations depuis janvier. Les populations dénoncent la brutalité et l’opacité des autorités, des indemnisations insuffisantes, et des injonctions à quitter les lieux tardives voire inexistantes.
Un courrier de l’Ageroute, daté du 14 mai, ordonne de verser 4,3 milliards de francs CFA pour indemniser les populations déplacées. Jacques N’Koumo assure que la chefferie n’a jamais reçu cet argent.
A. BLED
photo: dr
POUVOIRS MAGAZINE