Quand elle posait ses valises au Burida, pour la première fois, entre 2002 et 2006, en tant que Directeur général, elle était une parfaite néophyte du droit de la propriété intellectuelle, toute magistrat chevronnée qu’elle était.
Irène Vieira : « J’avoue que j’ai intégré le lycée de jeunes filles de Yamoussoukro, je n’avais pas d’ambition particulière, mais c’était juste par affectation. C’était un lycée d’excellence, il faut le rappeler. Dans cet établissement, je n’ai pas eu de déclic, je n’étais pas la plus brillante. J’étais juste moyenne. J’ai même repris la 6ème. Au fil des années, j’ai pris conscience de l’importance de l’école et je me suis améliorée. J’ai ensuite intégré le lycée moderne d’Agboville, ma ville natale, dès la 3èmeet où j’ai obtenu le Baccalauréat. Durant mes années au lycée, je rêvais d’être journaliste, avocate ou encore diplomate mais pas magistrat. J’occupais toujours les premiers rangs en lettres. Il y a même eu des moments où j’étais convaincue d’être écrivaine au plus profond de mon être. Quel que soit le métier que j’allais faire, je devais écrire… ».
Une fois le Bac en poche, la jeune Irène, à peine majeure, sacrifie à un parcours des plus classiques à la faculté de droit de l’Université d’Abidjan, sanctionné par une maîtrise en sciences juridiques. Toutefois, à deux reprises, elle échoue au concours du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa). De quoi abandonner son rêve d’enfant, celui de devenir avocate.
Irène a fait ses classes printanières en tant que substitut du procureur de la République (1991/92), elle passe de juge du siège au Tribunal de première instance d’Abidjan, au Tribunal du travail, et substitut général près le parquet de la Cour d’appel d’Abidjan, avant d’intégrer l’administration judiciaire en qualité de Sous-directeur chargée de la Protection des droits de l’Homme et des Libertés publiques (2001/2002). De ces années, Irène Vieira a, particulièrement, mis un point d’honneur au règlement des affaires familiales et matrimoniales dont elle avait la charge durant quatre années en tant que juge au Tribunal de Première instance. Elle qui est issue d’une famille nombreuse et bien plus que recomposée, et qui en a retenu jusqu’à la moelle, les valeurs de partage, de solidarité et d’égalité.
Elle s’en explique : « Mon père était sous-préfet et il accueillait chez lui tout le monde. Cela a fait de moi une personne qui n’aime pas les apartheids. Je n’aime pas les exclusions. Pour moi, on est tous pareils et égaux. Par exemple, dans une maison, je ne conçois pas qu’il y ait un menu pour les maîtres et un autre menu pour les enfants, les protégés ou le personnel. Je suis d’une famille très nombreuse. Mon père avait un frère et c’est ce dernier qui m’a élevée. Mon père et son frère avaient unit leur deux familles de sorte qu’on ne sache plus qui est l’enfant de qui. Nous étions au total une trentaine La plupart du temps, je suis du côté des plus faibles. C’est cela qui m’a emmené au département des droits de l’homme dans ma carrière. Je n’ai pas d’appartenance politique de par ma fonction. Je peux avoir des attirances pour un parti, surtout quand il est de l’opposition. Mais quand il accède au pouvoir, je me détache de lui. On me traite souvent d’anarchiste politique (rires)…».
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Toute chose qui incline à se poser avec la trajectoire d’Irène Vieira, la question de savoir « Le leadership au féminin c’est quoi » ? Ce sont, au fil de son parcours et de son aptitude à s’adapter, en se formant et en s’ouvrant aux autres, ces carrières professionnelles unisexes ou, traditionnellement dévolues aux hommes, qui impressionnent, qui inspirent et qui donnent envie de se dépasser et de suivre le même chemin. Mentor ou idole, certaines femmes – loin des clichés – comme Irène Vieira, nous insufflent de nouvelles envies pour faire avancer le monde et palier aux différentes inégalités qui l’entravent. Le leadership au féminin, c’est donc une série de parcours hors du commun, comme le sien, qui poussent d’autres femmes (mais aussi d’autres hommes) à toujours donner le meilleur d’elles-mêmes, pour devenir un jour soi-même une femme-leader.
Un peu comme celles et ceux dont elle a hérité, au plan professionnel, des valeurs, comme bien d’autres qui l’inspirent. « On a, à chaque étape de la vie, des modèles. Comme magistrat, j’aimais bien le doyen Fadiga qui a été président de la chambre judiciaire. Il m’a marquée par son humilité et son sens du travail. J’ai aussi été touchée par la rigueur de Mme le juge Marzouin. Je suis aussi épatée par Koné Mamadou, l’actuel président de la Cour constitutionnelle. Dans la vie de tous les jours, j’ai le regard braqué sur Barack Obama. On a le même âge mais c’est un modèle pour toute l’humanité et qui transcende le temps ».
Dans cet exercice du donner et du recevoir, de la transmission des valeurs, cette mère et épouse entend bien passer le témoin à sa progéniture. Un tantinet spirituelle, la « Dame d’acier » se révèle femme de foi : « Mes parents étaient croyants et pratiquants catholiques. J’ai fait mes classes primaires dans des établissements religieux. La religion a toujours bercé ma vie. J’éduque aussi mes enfants selon ces valeurs. J’ai trois enfants. Ils sont dans des Universités aux Etats-Unis. Je leur rappelle de toujours rester humain et avoir de l’empathie pour les autres quel que soit le milieu. Toujours être intègre ».
Bien plus, en guise legs à la jeunesse, et corrélativement à son domaine de compétence et à la vie sociale, tout-court, cette femme-leader qu’est Irène Assa Vieira confie : « Ce que j’espère pour l’Afrique et pour mon pays, c’est qu’on puisse être dans une réelle dynamique de développement social. Toutes les personnes qui vivent dans ce pays devraient avoir une meilleure qualité de vie. Il faut que les artistes donnent le meilleur d’eux et produisent plus. Je vois une justice efficace, je vois un système éducatif très efficace afin d’avoir des jeunes bien formés et aussi un système de santé moderne développé et accessible. Nous avons les ressources pour cela. Il faut aussi que les parents mettent l’éducation au centre de leur préoccupation ».
Au-delà, cette dame qui, avec son style garçon manqué, et qui pratiquait le volley-ball (et qui fît les beaux-jours du Stade d’Abidjan dans cette discipline), la natation, la gymnastique, entre autres sports, invite les parents à ne pas circonscrire les aptitudes sportives, artistiques et autres talents extra-scolaires de leurs enfants aux fins d’un épanouissement total de ceux-ci.
Irène Assa Vieira ne voit pas le leadership féminin comme une opposition au machisme social, mais comme une révélation qui est appelée à s’accomplir. Aussi, pour elle, « Une femme doit être une éducatrice, un modèle, car elle est le temple des valeurs. Je ne conçois pas qu’il existe des femmes corrompues. L’homme est fort, mais il est façonné par la femme ».
Pour revenir sur sa rigueur de management qui rime, à maints égards avec une certaine vision de la gouvernance, Irène Assa Vieira plaide pour plus d’égalité voire de parité du genre. Avant d’inviter les décideurs à prendre en compte des solutions endogènes à l’Afrique, a contrario de modèles standardisés selon les canons occidentaux et présentés comme universels. A tort.
« Je ne fais pas de politique. Je pense que, plus les femmes sont intégrées dans la marche politique, mieux le pays va. Il doit y avoir plus de parité. Les pays vont mieux quand il y a plus de la parité, et en guise d’illustration, je peux citer le Rwanda. Nous devons prendre en main notre africanité pour mieux construire notre pays. Par exemple, dans certaines localités du Rwanda, 40 maisons ont pour leader communautaire, un individu. Il veille à la salubrité, la sécurité, les problèmes divers de ladite communauté. Au lieu d’être dans des cités pas ou peu organisées. Il faut copier sur ce qui se faisait dans le passé, au lieu d’essayer d’appliquer en Afrique des politiques occidentales inadaptées à notre environnement ». Tout un programme quasi-révolutionnaire proposé par la femme de réflexion et d’action, qu’est Irène Vieira, pour relever la tête de l’Afrique
Normal, serait-on tenté de conclure, pour cette patronne, épouse, mère, qui fait du ménage quand elle est stressée.
POUVOIRS MAGAZINE