Ecrivain journaliste et éditeur Michel Alex Kipré, est formel: on naît écrivain, et on devient journaliste.
Visiblement le journalisme dont il est question ici, concerne exclusivement la presse écrite. Être écrivain n’était pas un métier. Il l’est devenu au fil du temps. En termes d’antériorité, l’écrivain est né avant le journaliste. Voltaire, Baudelaire et ici Zadi Zaourou, Bernard Dadié, sont devenus et ont été journaliste.
Ce que le journaliste et l’écrivain partagent, c´est prioritairement leur capacité à s’indigner, à ne pas s’accommoder du mal, de l’injustice de tous ses travers qui nous empêchent de faire société. Ce qu’ils ont en commun, c’est certainement aussi leur commune pratique de la plume ou du clavier, selon qu’ils soient d’hier ou d’aujourd’hui.
La capacité à apprivoiser la langue pour la mettre au service d´un angle pour l´un et, d´une histoire, d´une rhétorique, d´une perception du monde pour l´autre. L’un se veut informateur, objectif, même quand il est soumis à un tri, une sélection des faits qu´il est censé rapporter ou commenter. Il est dans le factuel. Obéissant à une codification rigoureuse, une sorte de camisole étriquée qui réduit ses perspectives dans le maniement de la langue et dans la sublimation des réalités indispensables à la création littéraire. En d´autres termes, le journaliste peut, a priori, être perçu comme un artisan. Et comme le disait d´ailleurs, le journaliste français Brunot Frappat « informer n´est ni un art, ni un apostolat, ni une science exacte. C´est un métier qui touche plutôt à l´artisanat dans de nombreux cas. » Quand bien même il existerait plusieurs types d´écrits journalistiques faisant souffler un léger vent de liberté, on est toujours appelé à respecter les bornes, les normes, s´inscrire dans l´un des faisceaux de définition du journalisme.
le journaliste et l’écrivain partagent la propension à s’indigner
Tandis que l´écrivain semble jouir d´un certain confort. Il a et est à l´initiative des faits. Il choisit son matériau. Il crée un monde autre : le sien. C´est « un concurrent de Dieu » à l´état civil comme dans l´architecture, pour parler comme les frères Goncourt. Dieu avec qui il copule. On retorquerait volontiers que le roman, la poésie ou encore le théâtre… contraignent également à des règles. Mais à qui s´applique ces règles ? Beaucoup plus au lecteur qui ne se sent bien que dans les champs réduits pour les besoins de définition de l´écrivain. Ce dernier, lui, s´exprime, recule, à chaque création, les limites des genres. Éprouve les critiques. Même le personnage héros a été remis en cause dans la création romanesque sous le règne des « Nouveaux romanciers » dont la technique a été théorisée par Alain Robbe-Grillet et Nathalie Sarraute, au milieu des années cinquante. La tendance, aujourd´hui, est, d´ailleurs à gommer la frontière entre les genres. L´écrivain est donc libre, en vrai.
Et, peut-être, la complexité du métier d´écrivain réside à ce niveau. Voguant dans le néant, il faut une capacité intellectuelle hors norme pour échapper aux lieux communs, renouveler et se renouveler, s´affirmer dans ce flot impétueux de la création où chaque page recouvre une autre, beaucoup plus facile à tourner. L´œuvre littéraire n´est pas commandée à la carte. Elle nait. Dans l´esprit d´un écrivain, certes, mais à son insu. Il s’agit alors pour lui de l´apprivoiser, lui donner un destin qui flatte non seulement son égo de névrosé, mais qui crée également le compromis avec l´alter ego, le lecteur, cet inconnu si capricieux. Mais cet écrivain se rarifie et se remplace par l’écrivain-communicateur, l’écrivain-influenceur. C’est l’ère du temps.
Là où le journaliste peut se permettre d´abuser de la crédulité d´un lectorat zombifié par une ligne éditoriale, véritable réplica doré d´une ligne idéologique.
Un journaliste peut-il être un écrivain ? Bien sûr, à condition qu´il soit bon ! l´épithète « bon » n´a pas ici une valeur affective. Il établit plutôt des exigences comme la lecture intempestive, la quête du savoir. En termes plus clairs, tout le monde peut devenir journaliste. Il suffit de bellement s’indigner comme Noel Ebony qui avait le niveau 5e, Tiburce Koffi qui a commencé étudiant dans les années 80. Mais tous les journalistes ne deviennent pas des écrivains. La reconversion nécessitant un temps de bonification qui ne s´évalue pas forcément en terme d´expériences dans la pratique de la narration journalistique.
Il y a fort à parier quand un journaliste est fantaisiste, ruse avec les faits, recréé l’histoire, s’éloigne de la vérité ou de la réalité qu’il cache et couve un écrivain de talent.
Avant d´écrire Les enfants de Mandela, recueil de nouvelle publiée en 1988, Jérôme Carlos d´abord rédacteur en chef du prestigieux magazine des années 80 Ivoire Dimanche, proposait des textes où il prenait déjà des risques avec la langue. Un autre exemple, « Zakwato´´ n´est pas l´œuvre d´un journaliste culturel de gauche. Azo Vauguy a plutôt passé vingt années à négocier avec ces « démons´´, (il a perdu le texte qu’il a dû réécrire), 20 ans à fléchir ces démons à ses sensations pour proposer une poétique qui a le souffle du chant du cygne. Il y avait certes le récit populaire, mais il l´a sublimée par son souffle poétique. Ce qu´aucune école de journalisme n´enseignera jamais.
Mais il y a surtout que la définition du métier d’écrivain a changé. L’écrivain n’est plus essentiellement celui qui propose une langue. Il se mesure aujourd’hui à sa capacité à avoir du succès, à se vendre. Marc Levy, Guillaume Musso qui atteignent le million de vente à chaque sortie en France sont écrivains. L´imaginaire populaire reconnait Anzata Ouattara, commerciale dans un Groupe de presse éditeur Go Magazine, Gbich à ses débuts, beaucoup plus comme une écrivaine pour sa fresque populaire Les coups de la vie. L’autrice vend plus de 50000 exemplaires par sortie. Elle est best-seller. Isaie Biton Coulibaly, le plus lu des auteurs ivoiriens avait fait l´école des rédactions de Paris et était correspondant du magazine international féminin Amina. Diégou Bailly, Brunot Frappat, Michel Drucker…. Qu´à cela ne tienne ! passer du compte rendu à la narration, il n´y a véritablement pas de contorsion. Le roman devenant parfois un long reportage.
Ce sont donc les lecteurs et les chiffres de librairies n’en déplaisent aux puristes, qui décident aujourd’hui. Sera écrivain donc celui qui sait faire parler de lui, qui sait se faire inviter sur les plateaux télé, se faire octroyer des prix qui ont leurs prix faut-il le préciser, celui qui sait faire attendre ses sorties, celui qui revendique un fan club pléthorique, celui dont les dédicaces affichent complet. On est bien loin de la qualité du texte, de la langue recréée à l’intérieur de la langue, mais c’est ainsi. Aujourd’hui un bon écrivain n’est pas loin des réseaux sociaux, de la propagande. On (les autres et lui avec) parle plus de lui, qu’il n’écrit ou n’explique ses écrits. Il est installé dans la représentation.
On naît écrivain. On devient journaliste
Pour finir, le bon journaliste peut devenir un écrivain. Mais le bon journaliste devient-il un bon écrivain ? Il va falloir déterminer, les caractéristiques d´un bon écrivain. Une véritable vase rendue davantage mouvante par les senteurs du marché.
Si l´écriture est acceptée comme un don, elle peut être antérieure au journalisme. Et c´est peut-être pour cette raison qu´on commence par devenir un bon journaliste en attendant de retrouver son espace vital.
Le journal se lit, se consulte. L´œuvre littéraire, « nourri de quelques monstruosités » pour parler comme Marcel Arland, se ressent, emporte dans une sorte de murmure complice avec le lecteur. D´une façon ou d´une autre, « Pour écrire, il faut déjà écrire ». Et le journalisme peut être l´antichambre de l´écrivain.
MICHEL ALEX KIPRE
écrivain éditeur, journaliste
POUVOIRS MAGAZINE