Quand les acteurs « deal » le pouvoir

4 semaines

La vie politique ivoirienne n’échappe pas à une logique vieille comme le monde : le pouvoir ne se conquiert pas par la vertu, mais par la force, la ruse ou le deal.

Derrière les façades électorales et les discours d’unité, une mécanique bien huilée assure la stabilité d’un système. Les élites s’y accordent les ressources, maîtrisent la violence et se cooptent dans une alternance convenue. Le peuple ? Il vote, il marche, il acclame — mais ne gouverne jamais. Retour sur une architecture politique où la démocratie n’est souvent que la forme légale d’un pacte oligarchique.

Depuis toujours, la gestion du pouvoir échappe aux idéaux vertueux. Elle se conquiert, s’arrache, se conserve par la force ou par le deal. Ce sont les plus organisés, souvent les plus violents, qui finissent par l’emporter. Ces acteurs ne forment pas toujours une coalition naturelle, mais ils savent s’unir dans des alliances de circonstance, parfois durables. Le ciment de leur pouvoir repose sur deux piliers : le contrôle des ressources économiques et la maîtrise de la violence politique.

Une fois le pouvoir conquis, ces coalitions se structurent, se partagent les institutions, redistribuent les postes. Elles décident ensemble du niveau de brutalité ou de légalité requis pour se maintenir. Parfois, le passage par les urnes est nécessaire. Parfois, la confrontation directe ou l’accord entre élites suffit. Dans ce jeu à somme nulle, la règle du jeu importe moins que les joueurs et leurs moyens.

Le PDCI : la matrice historique du pouvoir

La Côte d’Ivoire n’échappe pas à cette logique. Longtemps, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) du père fondateur, Félix Houphouët-Boigny, a dominé la scène. Sa longévité ne tenait pas seulement à la popularité de son leader, mais aussi à son efficacité structurelle : des ressources humaines compétentes, un accès illimité aux moyens économiques, et une jeunesse encadrée, que ce soit à travers les mouvements étudiants ou des groupes parallèles comme les célèbres loubards (VS, FAREM, etc.), jouant le rôle de bras armé du régime.

L’entrée du FPI : penser contre dominer

Le vent tourne en 1990 avec l’avènement du multipartisme. Le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, longtemps confiné à la dissidence, entre dans l’arène. Armé d’une forte capacité d’analyse politique et d’un discours idéologique structuré, le FPI s’appuie sur une jeunesse intellectuelle et militante, notamment à travers la FESCI, véritable école de formation politique et de rapport de force dans les rues comme dans les idées.

Mais si le FPI excelle dans la critique du pouvoir et la construction d’une pensée alternative, il peine à maîtriser l’appareil économique, et sa gouvernance, entre 2000 et 2011, oscille entre tentative de réforme et gestion chaotique d’un pouvoir qu’il découvre sous tension.

Le RDR : la rigueur économique contre la pensée

En face, le Rassemblement des Républicains (RDR) se structure autour d’un homme : Alassane Ouattara. Économiste de renom, stratège en réseaux, il impose une vision plus technocratique que politique. Son camp mise moins sur les grandes idées que sur l’efficacité administrative et financière. Il forme ses cadres dans le silence, infiltre la FESCI, crée sa propre jeunesse avec les Grenadiers Voltigeurs, et surtout, capitalise — sans en assumer ouvertement la paternité — sur la rébellion armée de 2002, menée par Guillaume Soro.

Avec cette combinaison de réseaux, de diplomatie économique, et de rapports de force militaires, le RDR installe un système de pouvoir à la fois centralisé et cloisonné, sacrifiant parfois la profondeur du débat politique au profit de la gouvernabilité et de la stabilité apparente.

Les petits partis, satellites d’un jeu verrouillé

Les autres formations politiques, incapables de rivaliser seules, se greffent aux grands ensembles. Elles vivent de l’ombre portée du pouvoir dominant, et trouvent leur survie dans les alliances, les compromis, ou les retournements spectaculaires.

Le système ivoirien se révèle alors pour ce qu’il est : un marché politique régulé par le financement public, la cooptation institutionnelle, et la neutralisation des opposants par l’intégration dans des gouvernements dits “d’ouverture” ou “de réconciliation”.

Le financement de la paix, ou le prix du silence

Dans ce contexte, les instruments censés garantir le pluralisme démocratique — financement public des partis, budgets alloués à la CEI, rentes aux anciens ministres et présidents d’institution — deviennent les rouages d’un système de domestication des élites. L’argent public finance la paix sociale, mais aussi la neutralisation politique. Le consensus devient un outil de contrôle, et l’opposition, une variable d’ajustement.

Le peuple, figurant de sa propre histoire

Dans cette architecture verrouillée, que reste-t-il au peuple ? Il devient main-d’œuvre démocratique : il remplit les stades lors des meetings, alimente les statistiques électorales, grossit les cortèges, et se prête aux mobilisations de façade. Mais il ne participe pas au pouvoir. Il l’entérine, il le célèbre parfois, mais il ne le décide jamais.

Une démocratie d’apparence, une oligarchie de fait

La Côte d’Ivoire vit ainsi au rythme d’une démocratie de façade, où les élections ont lieu mais ne transforment pas le réel. Le système se perpétue à travers les visages, les slogans, et les alliances, mais sa logique profonde demeure : un pouvoir géré en interne, entre acteurs qui se disputent en public et se redistribuent les cartes en privé.

Il ne s’agit pas ici de condamner, mais de comprendre. La critique politique n’est efficace que si elle révèle les structures cachées. Et dans ce cas, le constat est clair : la politique ivoirienne, comme tant d’autres en Afrique et ailleurs, fonctionne sur un modèle de co-gestion entre élites, dont l’enjeu n’est pas tant la transformation sociale que la conservation du pouvoir et le partage des bénéfices de l’État.

Le reste — slogans, meetings, discours — ne sont que les décors d’un théâtre bien rôdé.

TAMA CESAR

photo:dr

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