(FILES) In this file photo taken on March 18, 2022 Ivorian Prime Minister Patrick Achi leaves after a meeting with France's Prime Minister in Paris. - Ivory Coast's prime minister resigned on April 13, 2022 with a new government set to take office next week, an official told AFP, the latest test of the west African nation's democratic stability. (Photo by EMMANUEL DUNAND / AFP)

« Votez ou crevez » : Patrick Achi ou le chantage d’État qui fait de la démocratie une menace

4 semaines

« Il va gagner. Mais vous, vous n’aurez rien. »
Telle est, en substance, la phrase qu’a prononcée Patrick Achi devant une assemblée faite des électeurs de la région de La Mé. 

Ce n’est pas une menace isolée. C’est la doctrine d’un régime. Quand Patrick Achi affirme que les électeurs de certaines régions n’auront « rien » s’ils ne votent pas pour le candidat du pouvoir. Il ne parle pas à titre personnel. Il révèle une stratégie politique qui consiste à transformer le vote en soumission, et le développement en rançon. Une dérive grave, qui déshonore la fonction publique et nie le principe d’égalité des citoyens devant l’État.

Une politique du chantage

La scène est saisissante : un ancien Premier ministre, conseiller spécial du président, potentiel vice-président, s’adresse à une population en lui lançant un ultimatum à peine voilé.
Votez Ouattara, ou vous n’aurez rien. Pas de routes. D’eau. Pas d’écoles. D’hôpitaux. Pas d’avenir.

Ce discours, qui a choqué une partie de l’opinion publique, révèle un mécanisme bien plus profond. La confiscation de l’État à des fins électoralistes.
Patrick Achi n’hésite plus à dire ce que certains ont longtemps fait dans l’ombre. Utiliser les infrastructures, les projets de développement, les budgets publics comme des outils de récompense électorale. Si vous votez bien, on vous « développe ». Sinon, vous êtes livrés à vous-mêmes.

La République punitive : Buyo, Guéyo, Man, Gagnoa…

À travers le pays, les exemples sont nombreux.
Dans l’ouest, à Buyo, Guéyo ou Taï, certaines localités semblent figées dans les années 60. Des routes défoncées. Des femmes qui marchent avec des enfants sur le dos pendant 9 kilomètres, entre Okrouyo et Ottawa, pour rejoindre un dispensaire.
Dans ces régions, la misère n’est pas seulement une tragédie. Elle est devenue un message politique. Le message de l’abandon. Celui adressé aux électeurs qui n’ont pas « voté juste ». Man, ville emblématique, a été « punie », comme l’a été Gagnoa. Pas assez fidèle ? Pas assez zélé ? Alors pas de développement.

Mais depuis quand la citoyenneté se mérite ? Depuis quand les routes appartiennent à un parti ? Depuis quand les populations deviennent les otages d’un vote ?

La posture d’un homme en quête de validation

Patrick Achi ne parle pas en tant que militant zélé. Il parle comme un homme d’État. Ou plutôt, comme un homme qui aspire encore à le rester.
Sa sortie brutale s’inscrit dans une tentative de démonstration de loyauté à l’égard du président Ouattara. Il veut prouver qu’il est le meilleur défenseur du pouvoir, quitte à piétiner la République, ses collègues, et même sa propre région.

Ce même Achi, qui confiait être le « dernier de la classe » au CP1 et CP2, semble aujourd’hui avoir un besoin profond de reconnaissance et de validation. Un besoin si fort qu’il l’amène à renier son propre passé politique. Il fut ministre sous Gbagbo, censé représenter une ouverture technocratique. Il en a profité pour saboter les projets qu’il n’a lancés que… sous Ouattara. Car l’État, pour lui, n’est pas une continuité : c’est un terrain de loyauté à géométrie variable. L’homme se fait larbin de Ouattara.

Le culte du chef, le mépris des autres

Achi est coutumier du fait et n’est pas à son premier acte déshonorant. À l’Hôtel Ivoire, en 2020, Patrick Achi n’a pas seulement tenté d’humilier ses interlocuteurs. Sous le regard rieur d’un Alassane Ouattara surpris par endroits par tant de zèle. Achi a clairement établi une hiérarchie :

  • En haut, Ouattara, le « surhomme », que respecte les grandes sommités internationales.
  • En bas, les ministres ivoiriens, ces « bavards », réduits à importuner l’immense Alassane Ouattara. Celui-ci est si humble qu’il se contraint à les écouter parler de leur petite Côte d’Ivoire. Dans ce petit Abidjan incapables de se hisser à la hauteur du chef adulé par les grands de ce monde.
    Que reste-t-il de la population, si même les ministres sont traités avec ce mépris ? Quel respect peut-il rester pour les gens ordinaires, ceux qui n’ont ni tribune, ni réseau, ni grade ministériel ?

Ce discours n’est pas une erreur.

C’est une idéologie. Une vision du pouvoir fondée sur la soumission, où la grandeur d’un dirigeant se mesure à sa capacité à être craint. Adulé, ou craint d’être adulé.

La démocratie prise en otage

L’aveu le plus inquiétant est peut-être celui-ci :

« Même si vous ne votez pas pour lui, il gagnera. »

Autrement dit : vous ne comptez pas.
La messe est dite. Les élections deviennent un simple décor. Ce qui compte, c’est la démonstration de puissance, pas le respect de la volonté populaire.

En tenant ce genre de discours, Patrick Achi ne menace pas seulement les électeurs de La Mé. Il fragilise les fondations même de la démocratie ivoirienne. Transforme les citoyens en spectateurs impuissants. Il annonce une politique où l’on n’a plus le choix : voter pour le pouvoir ou être condamné à la relégation.

Il faut récuser cette logique

Ce n’est pas d’un homme d’État que nous avons entendu ces paroles. C’est le chantre d’un régime qui dévoie la démocratie, la transforme en marché de dupes, et cultive le chantage comme méthode de gestion.

Le développement n’est pas une faveur. C’est un droit constitutionnel.
Les ressources publiques ne sont pas la propriété d’un régime. Elles appartiennent à la nation.
Et on ne doit pas récompenser ou punir le peuple pour avoir bien ou mal voté. Il a simplement à être servi – sans condition, sans menace.

L’histoire retiendra que dans une salle pleine, un ancien Premier ministre a cru bon de rappeler aux Ivoiriens qu’il valait mieux obéir que choisir.
Il appartient aux citoyens, à la société civile, aux intellectuels et à la jeunesse, de dire NON à cette vision archaïque, autoritaire et autocratique du pouvoir.

Car si la démocratie est un luxe, comme l’insinuait Jacques Chirac, alors c’est qu’Achi l’a déjà confisquée.

ALEX KIPRE

photo:dr

POUVOIRS MAGAZINE

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