Syndicats, partis politiques, élites administratives, groupes familiaux influents, multinationales et ONG : tous font partie de la coalition dominante.
Une coalition qui partage le pouvoir entre initiés, en dehors du peuple. Ici, la démocratie n’est qu’un décor. La vraie gestion est celle de la violence. Et le peuple, réduit à une fonction : garantir la stabilité de ceux qui le surplombent.
Le pouvoir ne se conquiert pas pour gouverner le peuple. Il se conquiert pour maîtriser la violence. Voilà le cœur du jeu.
En Afrique de l’Ouest, et ailleurs, ce ne sont pas les citoyens qui pèsent dans la balance du pouvoir. Ce sont les coalitions dominantes. Ces grandes alliances silencieuses regroupent des acteurs variés — syndicats, familles puissantes, entrepreneurs, ONG, fonctionnaires, officiers, multinationales et hauts cadres de l’État. Ensemble, ils forment un cercle fermé. Ils ne gèrent pas tant l’argent que la capacité à contrôler — ou inverser — la violence.
Les transitions politiques, même « pacifiques », ne sont que des passations de clefs entre factions d’une même classe dominante. Chaque groupe arrive, s’installe, verrouille, et s’assure que la base ne bronche pas. Le peuple n’est ni source du pouvoir, ni bénéficiaire réel. Il est l’outil. Le levier. Le prétexte parfois.
Regardons le Mali. La junte n’a fait que remplacer une autorité civile discréditée.
Et que fait-elle ? Elle ne gouverne pas avec le peuple. Elle ne l’intègre pas dans les décisions. Cherche plutôt ceux qui, dans l’ancien système, sont capables de garantir sa survie. Elle remplace des têtes, mais conserve les rouages.
En Côte d’Ivoire, le constat est semblable. Les élus ne descendent pas dans les quartiers pour écouter leurs bases. Ils ne consultent pas. Ils décident. Et s’ils le font, c’est après, pour justifier l’acte, pas pour en discuter le fond. Le lien entre population et pouvoir est un fil coupé. Le processus est vertical, autoritaire, maquillé en démocratie. Et le vote est une formalité, pas une expression.
Et pourtant, on continue de vendre le rêve d’un pouvoir issu du peuple, par le peuple, pour le peuple. Alors que dans les faits, il faut toujours un « bout de la violence » pour gouverner. Toujours. Que ce soit une force armée, un appareil administratif répressif, ou simplement la peur sociale.
Le peuple ne s’écoute pas, parce qu’on ne lui a jamais appris à parler. Il n’a pas d’espace. Pas de prise. Il vit à côté du pouvoir, pendant que celui-ci se partage, se recycle, se protège de lui.
C’est cette dissociation entre le sommet et la base qui rend nos démocraties si instables. Si violentes dans le fond, même quand elles semblent pacifiques dans la forme.
La démocratie n’est pas encore là. Elle reste une mise en scène.
Et dans ce théâtre, le peuple n’a pas le premier rôle. Il est, au mieux, la claque. Au pire, le figurant.
ETHAN GNOGBO
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE
