A 2 jours de son concert, Placide Konan : “C’est une insurrection… je vais nommer ce qui dérange et qu’on cache”

4 mois

Avant son concert “La Mélancolie d’un Rebelle”, le slameur Placide Konan dévoile un spectacle brûlant de mots.

Avec des compagnons de scène engagés, il invite à un opéra slam où chaque vers devient acte de mémoire et de résistance. Rencontre avec un poète qui fait de la parole un refus de l’effacement, un cri contre le silence d’époque.

Interview – La parole face à l’oubli : entretien avec Placide Konan

Placide Konan, que murmure la mélancolie d’un rebelle que le silence ne suffit plus à contenir ?

La mélancolie d’un rebelle, c’est une douleur collective que l’injustice ronge. Ce n’est pas une plainte solitaire, mais une colère contenue que je transforme en parole poétique. C’est un cri silencieux qui cherche à dire l’indicible et à revendiquer une dignité piétinée.

La scène de “La Mélancolie d’un Rebelle” sera-t-elle une veillée, un exorcisme ou un tribunal ?
Ce sera un ring, un champ de vérité. Une scène où les mots deviennent poings, où l’on nomme ce qui dérange, ce qu’on cache. Nous ne pleurerons pas nos douleurs : nous les ressusciterons. Ce n’est pas un enterrement, c’est une insurrection poétique.

Quels spectres, quels silences appelez-vous dans cet opéra slam ?
Je convoque les morts qu’on a oubliés, les victimes sans nom, les voix sacrifiées. Trois mille. Ils étaient trois mille. De Dimbokro à la crise de 2011, ces âmes errantes hantent nos vers. Ils demandent justice.

Comment faire entendre un cri dans un monde saturé de bruit ?


La poésie ne hurle pas.

Elle touche ceux qui savent écouter. C’est une voix fragile mais tenace, une goutte qui finit par creuser la pierre. Même dans le vacarme ambiant, elle trouve son écho dans les cœurs éveillés.

Votre slam est vécu comme une liturgie. Le corps est-il instrument ou réceptacle ?
Il est les deux. Mon corps est la caisse de résonance des douleurs enfouies. Il porte la parole et reçoit la mémoire. Il incarne chaque mot jusqu’au bout des gestes.

Vous évoquez une mémoire fracturée. Ces fractures sont-elles ivoiriennes, africaines ou universelles ?
Elles sont ivoiriennes d’abord, africaines aussi, humaines surtout. Ce sont les traces des silences, des trahisons, des oppressions. Elles sont universelles car elles parlent à tous ceux qu’on a privés de voix, de noms, d’histoire.

Quel rôle reste-t-il à la poésie dans une société saturée de slogans ?
La poésie ne convainc pas : elle réveille. Dans cette marée d’images et de discours creux, elle reste un espace d’authenticité. C’est la dernière flamme dans un monde de simulacres.

Comment résister sans haïr ? Dénoncer sans désespérer ?
On résiste par amour, pas par haine. Je ne combats pas pour détruire, mais pour rappeler que la beauté existe encore. Je ne lutte même pas pour changer le monde. Lutte pour rester poète.

Quel type de rebelle êtes-vous ?


Un rebelle silencieux. Je ne prends pas les armes. Mais la parole. Je suis l’enfant du verbe, pas de la guerre. Ma révolte est dans la beauté du mot juste.

Comment garder votre voix singulière dans une œuvre collective ?
Le projet est né avec Serge Agnessan, qui a trouvé le titre. L’opéra slam est collectif, mais chaque artiste y garde sa voix. Chacun est un instrument différent dans une même partition.

Quelle dramaturgie sonore avez-vous imaginée pour ce spectacle ?
Une dramaturgie brute, organique. Les sons ne viennent pas illustrer la poésie. Ils la traversent, la décuplent. Ce sera une musique de chair, de souffle, de sang.

Qu’attendez-vous du public ?
Je n’attends pas qu’il comprenne, mais qu’il ressente. Larmes, silences, résistances… tout est bienvenu. Mais je veux qu’il sorte transformé, même un instant.

Un seul mot à dire au monde qui chancelle : lequel ?
Nom. Parce que le nom, c’est l’origine, la mémoire, la résistance. Nom, c’est dire “je suis là” quand on tente de vous effacer. C’est l’étincelle contre l’oubli.

Comment cultivez-vous, à La Case des Lucioles, une poésie de feu sans brûler les auteurs ?
On éclaire sans consumer. Guide sans dominer. Accompagne chaque écriture avec soin, sans la travestir. La lumière peut réchauffer sans brûler si on sait écouter.

Propos recueillis par

ALEX KIPRE

photo:dr

À voir : “La Mélancolie d’un Rebelle – Opéra Slam”
Le 28 juin 2025 à 20h, à l’hôtel Wafou, Abidjan

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