Aujourd’hui, 5 juin, Marcellin aurait eu 62 ans, le regard vif et l’allure calme. Il n’aurait bu que peu d’alcool, ou pas du tout, sa tête toujours claire et lucide.
Il aurait pris soin de sa voiture, vérifiant chaque papier, chaque lumière avant de partir.
Marcellin détestait les contrôles abusifs, il refusait d’être humilié par des hommes en uniforme.
Il s’arrangeait toujours pour avoir raison, sans hausser le ton, avec intelligence et précision.
Sans violence, il contournait le diktat des puissants, car sa liberté n’était pas négociable.
Ce jour-là, il aurait fait écouter ses nouveaux sons, fraîchement sortis du studio Yacé.
Il aurait appelé Evariste, ce guitariste de frère si précis, pour peaufiner une boucle mélodieuse unique.
Peut-être même aurait-il dansé, timide mais heureux, en voyant le public vibrer aux refrains.
Il savait reconnaître les tubes à l’instant où les têtes se secouaient d’un même rythme.
Il testait dans les maquis, les boîtes, les ruelles pleines de nuit, à l’écoute des cœurs.
Le refrain qui se fredonne sans fin, il le traquait comme on traque une étoile filante.
Mais ce soir-là, non, il ne rentrerait pas, les armes avaient devancé son prochain succès.
À hauteur de l’école de police, deux feux divergents ont hurlé la fin d’un génie.
Des hommes, en treillis ou en veste, ont jugé qu’il valait moins qu’un fauteuil politique.
Ils ont tiré sans pitié, comme on rature une étoile, comme on bâillonne une vérité brillante.
Marcellin est tombé, vêtu de noir, un tee-shirt et mille balles comme dernières caresses.
Son corps criblé, abandonné, ne pesait plus rien face à l’appétit d’un pouvoir sans visage.
Il ne devait pas mourir ainsi, pas lui, pas un faiseur de lumière, pas un Mozart d’ici.
Nous refusons que septembre revienne avec ses fusils, son mépris, sa soif d’ambition carnivore.
Que plus jamais des artistes soient sacrifiés pour que d’autres montent dans de grosses cylindrées.
Plus jamais que l’on assassine des rêveurs pour que d’autres conservent leurs trônes poussiéreux.
Plus jamais cette manière de mourir, de tuer la musique, de percer la chair du peuple.
Marcellin est mort, oui, c’est assez, trop même. Qu’aucune balle ne s’égare encore ainsi.
Son nom doit briller, non saignoter, sur nos lèvres, dans nos rues, et au cœur des chansons.
Il vivait pour l’art, pas pour les guerres, il créait l’harmonie, pas la discorde.
Qu’en octobre, aucun homme de paix ne tombe encore pour un fauteuil trop étroit.
Marcellin n’est pas une ligne dans un livre, il est une mélodie qu’on ne peut tuer.
Repose en paix Tchotchoni, Yarcellin, Synthé….
ALEX KIPRE
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE