On incite les bailleurs de fonds et les communautés d’origine étrangère à investir, à contribuer au rayonnement de la Côte d’Ivoire.
On encourage la diaspora à revenir… En réalité, ce sont surtout les transferts d’argent que l’on convoite, sans transfert de pouvoir. Des cerveaux, oui, mais sans les ambitions qui vont avec.
Depuis la disparition du père-fondateur en décembre 1993, le modèle d’intégration à l’ivoirienne oscille entre hospitalité proclamée et défiance organisée, souvent orchestrée par des entrepreneurs de l’exclusion. On sollicite des compétences, des talents, des financements pour maintenir son standing. On fait les yeux doux à la diaspora pour qu’elle revienne… mais dès qu’il s’agit de pouvoir, la porte se referme.
De Ouattara à Thiam
Cette ambivalence n’est pas nouvelle. En 1990, Alassane Ouattara est accueilli en sauveur d’une économie exsangue, après le rejet du plan Moïse Koumoué Koffi, alors ministre de l’Économie, qui préconisait une réduction des salaires. Mais lorsque ses ambitions présidentielles se dessinent, l’article 35 de la Constitution lui rappelle qu’il n’est pas tout à fait chez lui.
En 2025, l’histoire se répète. Cette fois, c’est Tidjane Thiam – petit-neveu de Félix Houphouët-Boigny, ex-ministre de la République – qui se heurte à l’article 48 du Code de la nationalité, révisé en 2013. On lui reproche une renonciation ancestrale à la nationalité ivoirienne, sans tenir compte de ses liens ininterrompus avec le pays.
L’article 48 prévoit qu’un Ivoirien qui acquiert volontairement une autre nationalité perd automatiquement la nationalité ivoirienne. Ce cadre juridique, bien qu’existant, ne s’appesantit pas suffisamment sur la complexité des parcours des citoyens de la diaspora, notamment ceux qui allient loyauté affective, engagement économique et aspirations politiques.
Exigences légitimes
Il ne s’agit pas de nier l’importance du droit ni la souveraineté d’un État à définir ses règles. C’est l’inégale application qui choque. Souplesse pour certains, rigidité pour d’autres. Une schizophrénie législative où les textes deviennent des armes d’exclusion massive.
Les transferts financiers de la diaspora, estimés à près de 1,5 milliard USD en 2024 selon la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), représentent une bouffée d’oxygène pour l’économie. Son implication politique, en revanche, suscite des réticences. À l’évidence, on préfère les virements aux votes.
Flux économiques oui, flux citoyens non
On ne peut aspirer à bâtir une nation moderne en traitant les fils et filles de la diaspora comme de simples pourvoyeurs de devises, sans voix ni droits. La méfiance identitaire, érigée en politique, transforme la Côte d’Ivoire en zone franche : ouverte aux flux économiques, fermée aux flux citoyens. Ce n’a jamais été le projet de Félix Houphouët-Boigny. Lui prônait l’ouverture, la solidarité, la paix vécue, non seulement proclamée. Les ivoiritaires de la 25e heure gagneraient à relire l’hymne national. Nous voulons être un modèle…
Intelligence politique
Il est légitime que certains citoyens s’interrogent sur les implications d’une politique migratoire floue. Mais cette inquiétude ne doit pas servir d’alibi à une exclusion systématique. Elle appelle au dialogue. Même lorsque « les institutions fonctionnent normalement », la démocratie rime avec débat, transparence et écoute.
Repenser notre politique d’intégration, d’immigration et de retour de la diaspora relève du bon sens, surtout à la lumière de nos traumatismes récents. Le génie politique ne réside pas dans l’entretien des clivages, mais dans leur dépassement.
Modèle ivoirien
Au lieu de sans cesse recycler à chaque élection des peurs infondées, construisons un modèle basé sur l’ouverture, la confiance et la solidarité. Un modèle ivoirien, enraciné, non importé. Un modèle qui rassemble, protège, fait grandir, et respecte la vie.
Organiser un forum national sur la diaspora et l’intégration, avec des résolutions contraignantes, constituerait un premier pas. Messieurs les députés, justifiez enfin vos salaires et avantages, plutôt que de rechercher des décorations. À l’heure de la CEDEAO des peuples, du libre-échange et de l’interconnexion globale, persister dans l’exclusion, c’est opter pour le repli sur soi. Le coût de cette politique est insurmontable : une fracture identitaire durable, un appauvrissement général certain.
Il reste une alternative. Agir avec bon sens, sans peur ni calcul. Au fond, périr ensemble par bêtise serait une fin indigne d’un pays qui se veut phare de l’hospitalité africaine.
etau.net
photo :dr
POUVOIRS MAGAZINE