Le cas Thiam : une rupture symptomatique des fragilités internes du PDCI-RDA

1 mois

Guikahué ne conseillera plus Thiam. Mais dans l’arène mouvante de la politique ivoirienne, c’est désormais autour de Tidjane Thiam que se cristallise l’attention.

Son émergence soudaine et fulgurante appelle une analyse lucide des dynamiques internes du PDCI-RDA, un parti traversé depuis de longues années par des tensions latentes et des repositionnements non résolus.

Une machine politique en panne d’anticipation

Si les structures du PDCI avaient été suffisamment consolidées, l’arrivée de Thiam aurait pu être absorbée sans fracture. Une organisation cohérente, structurée et stratégiquement pensée aurait pu canaliser ses ambitions, voire l’intégrer intelligemment dans un processus de renouvellement du personnel politique maîtrisé. Au lieu de cela, son irruption a plutôt révélé une fragilité structurelle et fonctionnelle.

En effet, le parti n’a jamais vraiment soldé les causes profondes du coup d’État de 1999, ni débattu démocratiquement en interne de son alliance avec le RDR, dictée au pas de course par l’appel de Daoukro. Fragilisé, de surcroît, par une lutte acharnée contre la fusion-absorption au sein du RHDP, affaibli par des années d’attentisme et de gestion clientéliste, le PDCI n’a pas su bâtir une succession ordonnée ni gérer les rapports de force internes. L’affaiblissement des structures du parti, minées par l’ultra-centralisation de l’organisation et de son fonctionnement, a permis l’ascension fulgurante de Thiam, perçu comme l’alternative à un système à bout de souffle. Si celui-ci tanguait déjà à l’arrivée de Thiam, il va sans dire que les hommes qui l’incarnaient étaient nécessairement à bout de souffle.

Le dynamisme insufflé par Thiam, le système décentralisé des structures mis en place et l’engouement provoqué par son avènement, surtout au sein de la jeunesse, constituent une menace existentielle pour beaucoup.

Guikahué : entre héritage et erreur de lecture

Maurice Kacou Guikahué, pourtant figure de proue du parti, n’a pas su lire à temps les signaux du changement.

À l’arrivée de Thiam, il est déjà affaibli par la terrible bataille qu’il a menée, avec succès, d’une main de fer et glaive au poing, contre l’absorption et la digestion du PDCI dans les entrailles du RHDP. La base de son parti l’a d’ailleurs reconnu en l’affublant du sobriquet Capitaine Courage. L’année précédant le décès du président Bédié, puis au moment où Thiam arrive, Guikahué est politiquement cerné, pris entre factions rivales : les « Mécistes » et les « Kamoraciens ». Les divisions internes minent la cohésion du parti ; il porte déjà le poids d’un appareil politique fatigué par les compromis successifs.

Le départ subit de Bédié, figure tutélaire et principal bailleur de fonds, laisse un champ stratégique inédit. Malheureusement, il est déjà trop tard pour Guikahué, car en effet, le parti lui échappe à ce moment précis. Fort de son parcours auprès de deux géants du parti – Houphouët-Boigny et Bédié –, il aurait dû avoir le contrôle du parti lorsque les cartes se redessinaient. Tel ne fut malheureusement pas le cas, par impréparation et un manque criant d’anticipation. Guikahué semble, en effet, ne s’être jamais véritablement projeté dans un futur plus ou moins proche.

Le quotidien ! Voilà le mal qui menace bien des hommes politiques, qui rongent leur os avec délectation et acharnement.

Au moment où Bédié tire sa révérence et que Thiam apparaît, Guikahué se trouve devant un dilemme : charger le nouvel arrivant ou endosser le rôle de faiseur de roi ? Une mauvaise lecture lui fait prendre la mauvaise décision : celle d’affronter Thiam, dont il ne mesure certainement pas la stature, l’aura internationale et l’influence au sein des cadres du parti. Avait-il même une idée de ses relais au cœur des puissants lobbys tapis dans l’ombre, et qui opéraient depuis de longues dates ?

Pourtant, les points forts de Guikahué sont indéniables. Il avait pour lui une longue et riche expérience politique, la légitimité historique, et une certaine connaissance des arcanes internes. À cela s’ajoutent sa grande capacité de travail et de mobilisation, reconnues. Mais à la mort de Bédié, le PDCI est financièrement exsangue. Les jeunes, cœur du réacteur du parti, ne goûtent plus à l’éprouvante traversée du désert, loin d’un pouvoir devenu une coterie au bord de la lagune Ébrié.

Plutôt que de capitaliser sur ce moment charnière pour tirer le meilleur profit de sa longévité politique, le vaillant Capitaine Courage choisit d’aspirer lui-même à la présidence du parti.

Une erreur d’appréciation majeure.

Son incapacité à insuffler une nouvelle dynamique au parti, tant en termes de vision que d’organisation, au moment même où il est dans le creux de la vague. Sous les coups de boutoir des « Kamoraciens »( Valérie Yapo en est une) mais aussi des transfuges du PDCI qui ont fait fortune dans les périphéries du pouvoir RHDP, le pousse à se lancer dans la course. A-t-il oublié que ces derniers, contraints de déserter le PDCI aux lendemains de l’échec de l’opération fusion-absorption, n’ont jamais jeté l’éponge ?

C’est donc logiquement que Thiam a su occuper, avec méthode, l’espace face à un Capitaine Courage cerné par des adversaires coriaces et englué dans des contradictions internes.

Thiam : un retour qui interroge la solidité du PDCI

L’ascension rapide de Tidjane Thiam, après 23 années hors du paysage politique ivoirien, interroge la préparation du PDCI face aux défis de la succession. Comment une figure si éloignée du quotidien militant a-t-elle pu s’imposer aussi facilement ? Cela révèle une profonde carence de structuration des principaux prétendants au contrôle et au pilotage du parti, mais aussi une faiblesse du maillage idéologique et territorial.

Des profils comme Jean-Louis Billon ou Thierry Tanoh, tous deux issus du monde des affaires, disposaient de moyens considérables. Mais ont-ils réellement participé à la reconstruction idéologique et organique du parti ? Ont-ils des députés, des maires, des présidents de région… bref, des élus qu’ils ont financièrement portés à ces divers postes de responsabilité ? Rien ne l’indique clairement.

L’exemple de Billon est le plus frappant : malgré sa fortune colossale et sa visibilité, il n’a pas pu fédérer durablement ni transformer son capital économique en influence politique. Le cas du Hambol, sa région d’origine, est symptomatique : elle n’a pas basculé massivement en sa faveur. Ce déficit d’ancrage local remet en cause sa capacité à incarner une force politique crédible et enracinée. En politique, l’influence ne se décrète pas, elle se construit dans la durée, sur le terrain, avec une fidélité éprouvée.

Marcel Zadi Kessy : l’alternative managériale et politique

À l’opposé de ces trajectoires inabouties, l’exemple de Marcel Zadi Kessy mérite d’être médité. À la fois homme d’affaires et acteur politique engagé, il a su créer un modèle hybride, efficace et visionnaire. Sa fameuse “Zone Zadi”, bien plus qu’une initiative de développement, était une méthode d’organisation, un projet territorial, une stratégie d’enracinement.

Zadi Kessy avait compris que la politique moderne exige une vision à long terme, un ancrage local, et une articulation claire entre développement et gouvernance. Il représente une école que les nouveaux leaders gagneraient à étudier et à actualiser.

Vers quel avenir ?

L’épisode Thiam n’est pas qu’une péripétie conjoncturelle. Il est le révélateur d’un parti en transition, en quête de repères et de refondation. Le PDCI-RDA, s’il veut retrouver sa centralité politique, doit impérativement repenser ses structures, renforcer sa base militante, et définir un cap idéologique clair. La politique ne se résume ni à l’aura personnelle, ni aux moyens financiers, mais à la capacité d’organiser, de fédérer et de durer.

De tous, Thiam, qui fait souffler un vent nouveau et une réelle force dynamique au PDCI, semble disposer des atouts nécessaires. Ce n’est guère pour rien que le pouvoir le cible comme la menace à neutraliser. Tout ce dispositif judiciaire et médiatique révèle qu’il est hors de question que l’ancien patron du Crédit Suisse franchisse, ne serait-ce que, la ligne médiane du terrain des opérations des électorales.

ALEX KIPRE

photos:dr

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