Père Francis Barbey. Il parle de la mort du Pape

2 semaines

Prêtre du diocèse de San Pedro, universitaire et auteur de nombreux ouvrages, Francis Barbey livre dans cette interview une pensée profonde et inspirante sur la mort et l’héritage spirituel du pape François.

 Vous avez publié un ouvrage au mois de septembre qui était plusieurs Lettres ouvertes au pape François. Qu’est-ce que sa mort vous inspire ?

En effet, au mois de septembre, j’ai publié un ouvrage de plusieurs lettres adressées au pape dans lesquelles je reviens sur la bénédiction des couples de même sexe que suggère par le document Fiducia Supplicans approuvé par le pape François. Pour faire court, j’explique au pape, qui a été surpris de la réaction du continent africain à ce document, qu’une lecture simpliste du non de l’Afrique risquerait de lui donner une mauvaise image de notre Église continentale. Je l’aide donc à comprendre les ressorts du refus de l’Église qui est en Afrique à bénir les couples de même sexe. C’est-à-dire à dire du bien de ce qui est vécu en Afrique comme une déviation morale.

Pour revenir à votre question, la mort du pape me touche. Mais comme tous les chrétiens, je suis dans l’espérance et je prie pour lui. Je le remercie pour sa spiritualité populaire qui nous rapproche du ciel par des chemins simples. On n’a pas besoin d’être un As de la foi pour suivre Jésus. On a juste besoin de nous approprier les sentiments de son cœur qui nous dispose à un regard simple. Et apaisé sur la complexité du monde et de nos vies, avec la certitude que Jésus est là. Et que finalement tout se résume à l’aimer et à aimer nos frères.

A-t-il reçu votre livre ?

Oui, l’éditeur m’a assuré que les services du pape et quelques autres cardinaux proches de lui ont reçu chacun un exemplaire de l’ouvrage.

Avez-vous eu des réactions ?

Non, pas vraiment sur le contenu du livre. Je n’étais pas non plus en attente d’une réaction sur une question aussi sensible que la bénédiction des couples de même sexe. J’ai voulu sortir la question des controverses dans les médias et les réseaux sociaux pour proposer un cadre de réflexion communicationnel qui ne nous éloigne pas de la vérité de l’Évangile. Autrement dit, j’ai aussi analysé les réactions des évêques africains et j’estime humblement qu’elle contient des limites, surtout lorsque certains ecclésiastiques justifient leur refus de Fiducia supplicans par la culture et non par les raisons de la foi. Le non des évêques africains à la bénédiction des couples de même sexe, ne doit pas avoir exactement la même raison que le non des Africains non-chrétiens sinon il y a problème. Aucune culture n’est parfaite. Et une lecture culturelle exclusive de questions ecclésiales peut conduire sur des chemins non évangéliques.

  Comment comprendre que le pape François soit si populaire chez les non-catholiques ?

L’image d’antisystème qu’il a véhiculée y est sans doute pour quelque chose. C’est la figure du héros dans les films. Remarquez que depuis la mort du pape François, les médias mainstream et les réseaux sociaux évoquent des profils et des noms de cardinaux qui pourraient lui succéder, en faisant du défunt pape le modèle à imiter comme « pape des pauvres », « pape du dialogue interreligieux », « pape des réformes », « pape de la cause des migrants », « pape de la cause écologique », etc.

Pour mieux comprendre cette question, il est utile de se référer à ses origines sud-américaines qui y sont pour beaucoup. Il vient d’une région qui a été marquée au XXe siècle par une histoire politique violente avec plusieurs régimes dictatoriaux dont le plus connu est celui de 1976 à 1983 dirigé par le général Jorge Rafael Videla.

Tout un contexte qui prédisposait à une force contraire de salut du peuple. La souffrance du peuple argentin et de tout le continent latino-américain a trouvé dans l’Église catholique un écho qui s’est structuré en une théologie dite de la libération. Cette théologie devint donc le moyen pour l’Église latino-américaine de penser et d’accompagner un mouvement socio-politique devant aider à la restauration de la dignité humaine et à la libération des conditions inhumaines de vie des populations.

Le mouvement est nourri par une lecture révolutionnaire des évangiles pour déconstruire les structures de la pauvreté et de la violence organisées par les pouvoirs dictatoriaux. Dans un tel contexte, les pouvoirs politiques, économiques et financiers ainsi que les riches et la richesse elle-même, deviennent des cibles d’une théologie qui se pense comme indispensable à la lutte pour la justice sociale.

Comment l’ancien archevêque de Buenos Aires émerge-t-il dans tout cela comme le pape que nous avons connu ?  

L’ancien archevêque de Buenos Aires est familier de ce contexte socio-politique et théologique, puisque ses propres choix de pauvreté, alors qu’il est évêque et plus tard archevêque, indiquent clairement sa solidarité avec les pauvres. Son rayonnement dans son propre pays vient de là, de sa proximité sociale et spirituelle avec les exclus du système.

Ce rayonnement n’a pas mis du temps à traverser les frontières de son pays et de l’Amérique latine, en plus du fait qu’en arrière-plan, l’Église sud-américaine est dynamique et est estimée en particulier par les autres Églises du Sud global, surtout en Afrique, par l’entremise de théologiens de renoms, tels les frères Boff. Il faut dire que l’un des frères Boff, Leonardo, a contribué à promouvoir la « théologie écologique » qui s’oppose au progrès illimité qui, selon lui, menace la planète. Là également, sur le thème de l’écologie, on n’est pas surpris qu’un pape argentin en fasse un point focal de son pontificat.

Comment ce contexte influence-t-il son pontificat ?

Le pape François arrive à Rome avec un soubassement idéologique très fort par rapport à l’Église en Occident et par rapport à une Église romaine qui lui semble plus constantinienne qu’évangélique. Face à ses frères cardinaux plus « classiques », il apparaît dès le début comme un opposant au système, comme un anticonformiste qui, sous prétexte de dénoncer une Église non évangélique, utilise des méthodes qu’on dit blessantes contre ceux qu’il soupçonne de représenter le système.

Ses détracteurs disent qu’il a comme une rage de renverser tout ce qui est l’expression d’un quelconque pouvoir. Son hébergement à Santa Marta, le non-recours aux cardinaux pour la direction de l’Église, la création de son C9, la décardinalidisation des villes cardinalistes, la nomination de personnes inconnues au cardinalat, entre autres, marquent le tournant d’un pontificat de combat contre un système.

Mais son combat n’est pas seulement tourné vers les structures. Il touche aussi à la théologie et à la doctrine dont il estime qu’elles sont trop rigides. Du coup, il dissocie doctrine et pastorale, ce qui l’autorise à se risquer à « jouer » avec des thèmes comme « la communion des divorcés remariés », « l’ordination des femmes aux ordres », entre autres, dont il savait qu’en le faisant, il heurterait les sensibilités théologiques de la majorité des théologiens et des chrétiens que la presse classe du coup dans le camp des (ultra)conservateurs.

Mieux encore, il défend une figure politique et sociétale de la papauté, exactement comme un clerc de la théologie de la libération, en se fixant sur des questions comme l’accueil des homosexuels, l’accueil des migrants et des pauvres, la valeur des religions non chrétiennes, entre autres. Ce qui en a fait pour les médias et les non-chrétiens, un pape proche du peuple, un pape des pauvres. Un pape ouvert. Pape réformateur. Un pape progressiste.

Mais ce n’est pas mauvais ?

Sans doute pas ! Mais lorsque la cardinal Camillo Ruini, ancien vicaire de Rome, demande dans une interview accordée au Corriere de la Sera de rendre l’Église aux catholiques tout en gardant l’ouverture à tous, c’est dire que le positionnement du pape sur certaines questions a surpris plus d’un dans l’Église, surtout ceux dont le cardinal Ruini dit qu’ils défendaient la foi depuis des années.

Pas qu’il a eu tord de l’avoir fait, mais que les problèmes du monde et les défis de l’Église pour les temps actuels ne se réduisent pas à la question migratoire, par exemple. En plus, certains considèrent son discours sur la question comme culpabilisant pour les Nations riches alors qu’il aborde très peu les causes endogènes de ces migrations.

Ça parait à beaucoup comme un acharnement contre les pays riches et ça donne raison à ceux qui pensent qu’il n’aime pas les riches. Ce qui semble plutôt un choix idéologique qu’évangélique.

Mais Jésus non plus n’aimait pas les riches

Vous me l’apprenez. Il faut que je relise les Évangiles (rire).  Ne pas aimer les riches et ne pas aimer la richesse sont deux choses différentes, à mon avis. Où se trouve la responsabilité de quelqu’un qui hérite ? Il faut le considérer forcément comme un damné parce qu’il est riche ? Jésus appelle les publicains à sa suite. C’est connu.

Comment annoncer l’Évangile aux riches si on les déteste ? Tout le monde est appelé au salut, y compris les riches. La conversion du riche est un chemin de justice pour les pauvres. Autrement dit, on peut fréquenter les riches sans être corruptible. Il n’y a donc pas de raison de ne pas leur annoncer l’Évangile comme une Bonne nouvelle. Lorsque j’étais étudiant à Rome, j’aidais un prêtre les dimanches après-midi à distribuer à manger aux pauvres.

Il m’avait expliqué que chaque semaine, des industriels lui portaient des cartons remplis de pâtes et de bien d’autres choses pour les pauvres… Ces pauvres bénissaient les riches donateurs. J’en suis témoin. Dire qu’on n’aime pas les riches n’apporte rien aux pauvres. Il faut aimer les pauvres et les riches et faire en sorte qu’ils se reconnaissent comme des frères. Les deux trouvent leur liberté dans le fait de s’aimer. C’est à cela que l’Évangile les appelle.

Oui, mais le pape François estime que l’Église est trop mondaine et elle semble une Église des élites.

Mon histoire personnelle, alors que je ne suis pas Sud-Américain et théologien de la libération, fait que je peux estimer que l’Église est mondaine si je suis amené à résider dans les appartements du pape. Mais mon histoire personnelle ne définit pas la vérité de l’Église qui a plus de 2000 ans. Tiens, il y a quelques années, j’accompagnais feu Monseigneur Djabla qui rendait visite au pape Benoît XVI.

J’avais été impressionné par les interrupteurs de la salle d’attente frappés des armoiries du pape. Je n’avais jamais vu des interrupteurs aussi jolis que ceux-là. Mais, au fond, pourquoi devrais-je en avoir honte en tant que prêtre catholique ? Comme le dit si bien le théologien suisse Hans Urs von Balthasar, en tant que catholique j’assume toute l’histoire de l’Église, y compris ses dérives qui ont marqué l’histoire.

Tout cela m’instruit sur l’histoire du salut.

Je ne m’en tape pas la poitrine, mais comme le dit Jean-Paul II, cela m’engage sur l’avenir, à savoir que les hommes d’Église ne doivent pas déconnecter l’Église de l’Évangile sinon tout se réduit à l’humain. De là à brader le Vatican par solidarité aux pauvres, je ne le conseillerais pas. Si c’est vrai que le pape François a estimé que l’Église est trop mondaine, je partage cet avis avec lui. Mais le pape François sait mieux que moi que l’Église est aussi en chemin de conversion.

On ne convertit personne en l’accablant. Les bons sentiments qui montent d’un cœur qui aime peuvent ensemencer un autre cœur. Seul l’amour convertit. Ce n’est pas en estimant que les cardinaux souffrent de 15 maladies, parmi lesquelles il y aurait la vanité de la gloire et la mondanité, qu’on les convertit ! Au contraire, il y a des risques qu’ils se braquent contre celui qui leur donne des leçons, que plusieurs d’entre eux ont soutenu et élu.

La paternité de Dieu qui a illuminé la vie du Christ est une paternité miséricordieuse, non pas pour une catégorie de personnes, mais pour tous. L’Église doit se convertir. La méthode reste à discerner à chaque instant en étant attentif à l’action de l’Esprit Saint. Il est alors impossible d’aimer les pécheurs des périphéries et de détester les pécheurs qui sont dans l’Église.

Finalement, qu’est-ce qu’on retient du pape François ?

Au-delà des débats actuels sur l’héritage spirituel du pape François, il me semble qu’il est injuste de n’avoir qu’un regard déçu sur un pontificat qui a duré 12 ans et qui invite à dépasser les positions tranchées sur le pape. Je crois qu’il existe une façon qu’on dirait chrétienne de parler d’un pontificat en analysant certes des personnalités, des parcours, des expériences de vie. Mais aussi en se posant trois questions fondamentales : ce pape nous a-t-il parlé de Dieu comme Père ?

De Jésus comme rédempteur ? Et de l’Esprit saint comme souffle d’amour ? Oui, le pape François nous a parlé du Dieu trinitaire en des termes qui désencombrent la route du ciel.

Son appel à une Église ouverte exprime la miséricorde et la paternité de Dieu que Jésus traduit dans l’Évangile de l’enfant prodigue.

La petitesse et la pauvreté auxquelles il n’a cessé de nous inviter dans le souvenir de saint François d’Assise nous ont réconciliés avec le mystère du Christ et replacent la Croix en son Centre comme un lieu de guérison.

De ce seul point de vue, le pape François a accompli sa mission de pasteur. La mission de l’Église n’est pas achevée pourtant. Elle se poursuit. Il faut à l’Église des pasteurs zélés comme François et profondément attachés à Jésus pour faire face aux nombreux défis pastoraux de notre temps.

Un mot sur le prochain pape. L’Afrique a-t-elle une chance ?

Je n’aime pas la lecture raciale de la papauté. Il s’agit d’une autre chose où la race et les identités particulières n’ont rien à y faire. Seule l’identité chrétienne compte. J’attends donc un pape catholique, peu importe sa race et ses origines. Mais je vous réponds quand même.

Si l’Afrique a une chance, ça ne peut être que le cardinal Sarah pour des raisons évidentes et objectives. Il est connu, il a une pensée théologique claire inspirée de Benoît XVI. Sarah est sensible aux défis des temps actuels et il a déjà formulé dans des ouvrages des réponses concrètes. Il a donc des soutiens, je veux dire. Mais il a aussi des ennemis qui l’accusent d’être ultraconservateur, de ne rien céder sur les questions sociétales.

À mon avis ce n’est pas une insulte qu’on le dise d’un cardinal africain qui estime ouvertement que l’Église n’a pas à se conformer aux valeurs du monde, mais que ce sont les valeurs de l’Évangile qui doivent s’imposer dans le monde.

Interview réalisée par

ALEX KIPRE

photo:dr

POUVOIRS MAGAZINE

OPINIONS

DU MEME SUJET

Le livre: une idée plus vaste que nos nombrils et nous!

Servir le livre ou s’en servir : il faut choisir Il y

Michel Koffi: « ce livre de Blé Goudé n’est politique que par… »

POUVOIRS MAGAZINE A POSE 4 QUESTIONS À MICHEL KOFFI, JOURNALISTE, CONCERNANT LE