Nous reprenons une interview de Zohoré une figure de la caricature en Côte d’Ivoire, directeur de la rédaction de Gbich de ce magazine d’humour, de satire et de bandes dessinées.
Votre journal est le principal média satirique de la presse ivoirienne. Vous êtes-vous senti menacé en tant que caricaturiste en Côte d’Ivoire après l’attentat de Charlie Hebdo?

Certaines personnes sensibles aux thèses défendues par les terroristes nous ont attaqués en ligne. Des posts, heureusement minoritaires, soutenaient que les dessinateurs de Charlie l’avaient bien cherché. Pour autant, je suis resté confiant car, en Côte d’Ivoire, nous avons une culture de l’autodérision profondément ancrée.
La seule fois où la rédaction s’est sentie en danger, c’était lors de la transition militaire du général Robert Gueï [décembre 1999 – octobre 2000]. Quand il a décidé de se présenter à la présidentielle, nous avions titré : « Gueï dribble tout le monde ». Notre dessin le dépeignait en train de doubler la société civile et les acteurs politiques.
Dès la parution du journal, des militaires ont cherché à localiser nos bureaux dans Abidjan. Mais cela n’a pas été plus loin. On se disait que les Ivoiriens n’accepteraient pas qu’on soit arrêté pour un dessin. Bien sûr, comme nombre de journalistes, j’ai eu droit durant des années à des menaces par téléphone quand je caricaturais l’ancien président Laurent Gbagbo. On me reprochait de ne pas respecter la fonction présidentielle mais ce n’est pas allé plus loin que ça. Laurent Gbagbo nous a même félicités, tout comme l’actuel président Ouattara, lorsque nous l’avons rencontré.
Le 13 mars 2016, la Côte d’Ivoire a été frappée par une attaque djihadiste qui a fait dix-neuf victimes à Grand-Bassam. Cet attentat a-t-il changé votre ligne éditoriale ?
Nous nous sommes dit que, cette fois, la menace se rapprochait. Je devais être à Bassam avec mes enfants ce jour-là. Cela m’a beaucoup marqué. Pour autant, Gbich ! a décidé de résister. Dans le numéro qui a suivi, nous avons titré : « On ne se laissera pas faire ». Et nous avons continué à travailler comme avant.
La population en Côte d’Ivoire est répartie quasi équitablement entre chrétiens et musulmans. Pouvez-vous tout caricaturer ?
Le terrorisme, ça vous ramollit un peu. Depuis Charlie, nous avons mis de l’eau dans notre vin. En conférence de rédaction, nous prenons garde à réfléchir à l’impact éventuel de nos dessins car il ne faut pas blesser les gens. Il y a deux sujets intouchables : le sexe et Dieu.
L’autre interdit, c’est la représentation de pénis ou de vagins. On sait qu’on provoquerait une levée de bois vert de la population qui nous mettrait en danger. Ce que Charlie fait aujourd’hui, nous ne pouvons pas le faire.
SCE: Le monde
photo:dr
titre: rédaction
POUVOIRS MAGAZINE