Exclusive. Hommage à Koko Ateba, Paul Wassaba raconte tout

1 semaine

Dans une interview exclusive menée par ALEX KIPRE, après le décès de la chanteuse camerounaise KOKO ATEBA, interprète du tube « Si t’es mal dans ta peau », PAUL WASSABA, l’arrangeur ivoirien du titre dit tout.

Comment avez-vous appris le décès de Koko Ateba ?

Par les réseaux sociaux (Facebook).

Étiez-vous en contact ?

Non. Nous n’étions malheureusement pas en contact.

Comment aviez-vous été en contact avec Koko Ateba ?

J’étais en Côte d’Ivoire au début des années 1980 après la sortie de mon album à Paris. Dont un titre « Wo Dassa Loho Gba » venait d’être utilisé pour l’émission télévisée Podium (1981). Cet album était sur le label WEA (Warner, Electra, Atlantic). Ce label était représenté en Afrique de l’Ouest par un Franco-Polonais, Mr Guy Gluck. Il était installé à Abidjan avec son propre label WAM (West African Music). Sous ce label il produisait des artistes locaux. Un jour il m’a annoncé qu’il venait de rencontrer une chanteuse Camerounaise exceptionnelle. Et qu’il voulait que je fasse les arrangements d’un de ses titres.

Racontez les circonstances pour l’arrangement musical de « Si t’es mal dans ta peau » ?

Guy Gluck m’a présenté Koko dans un maquis en Zone 4 (un quartier du sud d’Abidjan), où nous avions l’habitude de nous rencontrer les soirs. Dès la première rencontre elle a tout de suite pris sa guitare et a joué le titre. J’ai tout de suite été fasciné par son aisance et la fluidité de son expression.

la pochette du disque comprenant le tube

Pouvez-vous partager une anecdote sur votre collaboration avec Koko Ateba lors de l’enregistrement de ce titre ?

Vous savez, cela fait si longtemps.

40 ans je sais mais ce n’est pas pour moi, mais pour la mémoire collective. Pour les livres à venir quand ce peuple voudra bien se réconcilier avec le savoir, il faudra bien qu’il y ait des traces

C’est juste. Ce qui m’a beaucoup marqué pendant cette courte et intense relation artistique, c’est que, contrairement à certains artistes pour lesquels j’ai fait des arrangements musicaux, ils ont un titre, une mélodie, un corps, pour ainsi dire, qu’il faut habiller. Exactement comme ferait un couturier avec un corps humain. Ensuite, il faut les amener à comprendre, assimiler et posséder cee arrangement, l’habillage de leur composition. Avec Koko, c’était complètement différent. Elle savait ce qu’elle voulait, en tous cas, concernant les grandes lignes du costume. Il fallait simplement saisir et comprendre l’émotion qu’elle exprimait chaque fois qu’elle chantait ce titre.

Comment décririez-vous la vision artistique de Koko Ateba et son influence sur la chanson ?

Je ne peux pas parler de vision artistique, car il aurait fallu que nous passions assez de temps ensemble à parler musique en général pour connaitre sa conception de la musique. Ce que je peux dire, c’est que Koko avait l’air d’une habituée des milieux artistiques. Elle avait déjà l’expérience de la scène et cela se sentait dans l’aisance et la facilité qu’elle avait, quel que soit l’environnement, de prendre sa guitare et jouer pour le plaisir de communiquer. Pour ce titre particulièrement, les paroles semblaient évoquer certaines expériences de sa vie tumultueuse et instable. Le tout venait du plus profond de son cœur.

Quels défis avez-vous rencontrés en travaillant sur cette chanson ?
Je n’ai pratiquement rencontré aucun défi majeur. Comme je l’ai dit plus haut, Koko connaissait tous les contours de cette chanson. Je n’avais qu’à m’imprégner, de façon empathique, de l’émotion qu’elle communiquait à travers ce texte. Et de la manière (l’aisance) avec laquelle elle exprimait cette émotion.

Le titre et son intro convoque un climat asiatique ou oriental. Est-ce voulu? Pourquoi?
Je ne sais pas pour le titre. Mais le climat asiatique ou oriental n’était pas voulu. Cette première partie de l’intro devait permettre d’asseoir le corps du morceau avant le premier couplet. C’est une séquence qui m’est venue spontanément.

Quels instruments ou techniques avez-vous utilisés pour transmettre l’émotion présente dans les paroles ?

J’ai simplement utilisé une instrumentation très dépouillée (percussion, basse, guitare acoustique, clavier) pour mettre en valeur le grain de la voix déjà chargée d’émotion de Koko. Elle commence comme dans une causerie sans élever la voix. Et passe immédiatement par une projection à ce qu’est sa vie, ce qu’elle ressent et vie quotidiennement : « Ta vie ressemble à la mienne, faite d’incertitudes et de haine. Faites surtout de solitude et d’aventures…. ».

Comment avez-vous équilibré la douceur mélancolique du texte avec l’énergie musicale ?

J’ai simplement introduit ce « break » avec une mélodie au violoncelle et un contrechant avec les cordes, le tout au synthétiseur. Une séquence qui donne l’effet d’une accélération du tempo et une intensité à l’ensemble du corps rythmique. De sorte que le retour au couplet ou au refrain soit notable et agréable.

Selon vous, quel message principal la chanson cherche-t-elle à transmettre au public ?

Je pense que cette chanson est une autobiographie. Koko avait une vie de troubadour, une vie au jour le jour, sans plan précis pour le lendemain ou peut-être même l’avenir. Cela se voyait dans son comportement et je pense qu’elle en souffrait profondément. Sa vie avait peut-être changé tantôt, je ne sais pas. Mais au moment de l’enregistrement de ce titre, c’est cette tristesse et cette solitude intérieures que je pouvais percevoir dans son comportement et ses expressions artistiques.

Quelles réactions ou retours marquants avez-vous reçus après la sortie de cette chanson ?

La Cote d’Ivoire était à cette époque la plaque tournante de la musique Ouest-africaine. Abidjan était le passage presque obligé pour les artistes en partance pour l’Europe : Mory Kanté, Saif Keita, Tchala Muana, Kanté Manfila, etc. Koko faisait partie de ces artistes et ce titre fut un Tube sur le plan local et sous régional. Je pense que cela lui a surement ouvert le chemin de l’Europe.

Cette chanson me semble t-il a eu un impact particulier sur votre carrière ou celle de Koko Ateba ?

C’est sûr que cette chanson l’a beaucoup fait connaitre en Afrique de l’ouest. Cela eu un impact sur la suite de sa carrière, comme je l’ai dit plus haut.
En ce qui me concerne, cette réalisation a attiré l’attention de certains producteurs et créateurs sur mon travail. J’ai été sollicité pour des fresques chorégraphiques. Avec Souleymane Koly en tant que Directeur musicale de l’Ensemble Koteba nous avons fait « Waramba, l’Opera Mandingue » (1992). Puis avec Were-Were Licking et le Kiyi M’Bock nous avons fait « Dans la Lumiere » (1993) et Ma Djiba Tougnan » (1994). Des musiques de film telles que « Au Nom du Christ » de Roger Gnoan M’Bala (1993) ; de Films documentaires : « Vous Avez Dit Peinture” de Idriss Diabaté (1995); de chanteurs(ses) tels que Flavie Bato (EMI-JAT Music 1994), etc.

En tant qu’Ivoirien, comment votre culture musicale a-t-elle influencé l’arrangement de cette chanson ?

C’est vrai que je suis né dans un village dans le Nord de la Cote d’Ivoire. J’ai donc reçu la base de la culture musicale Senoufo, plus une partie des années d’école primaire et tout le cycle du secondaire dans le « melting-pot » d’Abidjan. Nous avons formé les premiers groupes de pop music en Côte d’ivoire à la fin des années 1960. Mais je suis sorti très tôt aussi pour l’Europe où j’ai continué à jouer dans des groupes musicaux de jeunes. C’est la somme de toutes ces expériences musicales qui a influencé l’arrangement de cette chanson.

KOKO ATEBA, guitariste chanteuse, elle a hissé la mélancolie à un niveau de compassion heureuse

Je n’en vois pas mais sait-on jamais, voyez-vous des éléments ivoiriens ou africains dans la composition, même subtilement ?

Pas du tout. La mélodie n’emprunte aucune gamme exotique et aucun rythme spécifique traditionnel ou moderne ivoirien. Elle a inspiré en moi, cette progression harmonique standard.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes arrangeurs ivoiriens pour travailler avec des artistes d’envergure ?

– Il y a d’abord la formation de l’oreille que l’on peut acquérir en écoutant presque tous les genres musicaux. Ensuite de la bonne et de la mauvaise musique dans tous les genres ou styles de musique. Il suffit de choisir ce qui nourrit votre vocabulaire musical. En tant qu’arrangeur, n’écouter qu’un seul genre de musique et une pauvreté intellectuelle qui limite la création artistique.
– Ensuite il faut apprendre à entendre intérieurement ce que l’on veut écrire. Avoir une vision intérieure d’un orchestre composé des instruments que l’on a choisis pour les arrangements.
– Il faut aussi connaitre et s’habituer aux différents sons que produisent les instruments les plus courants et connaitre les « couleurs » des mélanges de sons ou d’instruments. Par exemple : si vous faites jouer une mélodie par une flute et une guitare, quelle « couleur » de son cela donnera, etc.

Quelle signification personnelle attribuez-vous à « Si t’es mal dans ta peau » après toutes ces années ?

Vous savez, chaque collaboration avec un artiste est une expérience toujours exceptionnelle. Ce fut une étape importante de ma carrière et Koko était une personne extraordinaire. Je pense personnellement que cette chanson occupe une place importante dans la discographie de sa carrière musicale.

Envisagez-vous de retravailler ou de réinterpréter ce titre avec des artistes contemporains ?

Je n’envisage rien en ce moment concernant cette chanson, mais si l’occasion se présente, pourquoi pas. Ça sera une expérience totalement différente avec un résultat surement diffèrent. Mais cette chanson était et est Koko elle-même.

Quels sont vos projets actuels et à venir dans l’industrie musicale ?

En 2013, je suis venu des États Unis avec un projet de formation musicale pour enfants, sur invitation du Ministre de la Culture d’alors. La convention de partenariat pour l’implémentation du projet et mon business plan sont restés scelés dans les tiroirs du ministère. C’est sans grande surprise que j’ai vu ce projet réalisé récemment dans une ville du Nord de la Cote d’Ivoire. Aucune amertume car ce sont des enfants ivoiriens qui en bénéficient. Et puis je peux toujours réaliser le projet bien différemment et ailleurs en Côte d’Ivoire. Quoiqu’il en est, les analyses et les réflexions qui ont conduit à la création de nombreux programmes innovants dont celui-ci, pour les arts et la culture en Côte d’ivoire sont toujours là et intactes.

Si vous pouviez refaire l’arrangement aujourd’hui, changeriez-vous quelque chose ?

Oh oui, évidemment. Nous évoluons dans ce que nous faisons et aujourd’hui, après tant d’année je vois les arrangements de ce morceau très différemment.

Quel moment du processus de création vous a le plus marqué émotionnellement ?
Le moment dans le processus où je fais le lien entre le texte du morceau et la vie même de l’artiste.

Avec quel artiste rêveriez-vous de collaborer pour un projet aussi émouvant ?

Richard Bona pour l’écriture et l’orchestration, Salif Keita et bien d’autres.

Interview réalisée par

ALEX KIPRE

photos: dr

POUVOIRS MAGAZINE

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