L’éditorialiste Ferro Bally reconnu pour ses analyses de bon niveau s’arrêtent sur le cas des épouses de Chef d’Etat.
La Côte d’Ivoire a accédé à l’indépendance le 7 août 1960. Si l’on fait abstraction de la transition militaire de dix mois (du 24 décembre 1999 au 26 octobre 2000), le pays a connu quatre présidents de la République. Incarnant l’État et ses institutions, le chef de l’Exécutif dispose de pouvoirs étendus. Toutefois, la Constitution est restée muette sur le statut de sa conjointe ou de son épouse.
N’apparaissant nulle part dans nos textes fondamentaux, le terme de « Première Dame » n’est donc pas un titre officiel. L’épouse du chef de l’État n’assure aucun rôle officiel. Ne bénéficie ni de titre ni de mandat électif. Son statut ne lui confère pas une fonction publique officielle.
Pour cette raison, les premières « Premières Dames » du pays ont évolué dans l’ombre de leurs époux-présidents. Tout commence avec Thérèse Houphouët-Boigny, surnommée la « Jackie Kennedy noire ». Elle s’est engagée dans des causes associatives et, sous son impulsion, l’Association des femmes ivoiriennes (AFI) a vu le jour. Elle en a assuré la présidence jusqu’en 1974.
Mais, considérée comme une structure spécialisée du PDCI-RDA, alors parti unique, l’AFI se distancie progressivement de la politique. Pour se concentrer sur le social.
Le 23 octobre 1987, Thérèse Houphouët-Boigny crée N’Daya International.
Cette ONG finit par disparaître avec le décès de Félix Houphouët-Boigny, le 7 décembre 1993.
Il ne fallait pas faire double emploi ou concurrence avec « Servir », l’ONG créée par Mme Henriette Konan Bédié. Epouse de son successeur Aimé-Henri Konan Bédié. « Servir », fondée le 16 mai 1996, est une association à but non lucratif, dédiée au social et à l’humanitaire. Après la chute de Bédié, le 24 décembre 1999, « Servir » entre en hibernation. Puis connaît une fin clinique après la rupture des alliances politiques avec Alassane Ouattara. L’ONG est morte avec le décès de Bédié, le 1er août 2023.
Mme Simone Éhivet Gbagbo, deuxième vice-présidente du FPI et députée, va se démarquer radicalement des précédentes premières dames. Durant le règne de son époux Laurent Gbagbo (26 octobre 2000 – 11 avril 2011). Ne se consacrant pas aux œuvres caritatives, elle poursuit sa vie de combats politiques.
Elle connaît la prison et l’humiliation, avant et après le pouvoir.
Considérée comme au cœur du régime, elle est surnommée de nombreux noms péjoratifs comme « femme fatale », « Pasionaria », « dame de fer » ou « Simone la terrible ». Accusée d’être la mauvaise conscience de Laurent Gbagbo, elle est arrêtée le 11 avril 2011. En même temps que lui. Bien qu’épargnée par la CPI, qui la réclamait avec Gbagbo et Charles Blé Goudé, elle passera quatre années en résidence surveillée à Odienné.
En procès à Abidjan, elle connaîtra diverses fortunes judiciaires. Acquittée le 28 mars 2017 pour « crimes contre l’humanité », elle est condamnée à 20 ans de prison, le 10 mars 2015, pour « atteinte à la sûreté de l’État ».
En août 2018, elle bénéficie d’une mesure d’amnistie.
Cependant, elle n’a pas renoncé à la politique. Elle a créé le MGC et est candidate à la présidentielle d’octobre 2025.
Tel n’est pas le profil de Mme Dominique Ouattara, surnommée « Fanta Gbê » par les partisans de son époux, Alassane Ouattara. Elle a patiemment construit son parcours. D’abord femme d’affaires, elle est une redoutable cheffe d’entreprise surnommée « la tigresse du business ». En 1979, elle fonde le groupe immobilier AICI dont elle est le PDG. Puis en 1996, elle acquiert la marque Jacques Dessange aux USA et dirige French Beauty Services. En 1998, elle crée la Fondation Children of Africa, dont elle est présidente.
Elle intègre également les arcanes du pouvoir après la prise de pouvoir de son époux, le 11 avril 2011. Elle dirige le Comité national de surveillance des actions de lutte contre la traite des enfants et contre les pires formes de travail (CNS). Ce comité a bénéficié d’un budget de près de 13 milliards de FCFA pour le plan 2015-2017. Il dispose de six antennes régionales et de 200 fonctionnaires de police à sa disposition.
Elle est également à la tête du Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI), créé en 2012, et qui bénéficie d’un budget de 26 milliards de FCFA pour financer des microprojets pour les femmes. La Fondation Children of Africa a été déclarée d’utilité publique en 2012 et bénéficie de subventions de l’État pour ses événements.
Mme Dominique Ouattara, par son réseautage, s’impose comme une figure incontournable.
Bien qu’elle ne joue pas un rôle officiel, elle se situe entre l’ombre et la lumière, influençant la politique et les affaires publiques. Elle reçoit en audience des personnalités variées, allant des ambassadeurs aux artistes et sportifs. Elle dispose même de services à la présidence, bien que le budget ne soit pas rendu public.
Mme Ouattara, par son influence, gère de nombreuses ficelles du pouvoir. Bien que discrète, elle est une véritable institution informelle, qui, derrière son mari, fait avancer des décisions politiques et sociales. Elle n’a jamais cherché à être en première ligne, mais son influence grandit sans tambour ni trompette, imposant peu à peu son pouvoir.
F. M. Bally
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE