C’est l’histoire d’un manuscrit vieux de 40 ans qui, aujourd’hui, colle à l’actualité avec une acuité surprenante. Dans les affres de l’existence… Me André Ossohou balaie d’un regard critique et philosophique des thématiques qui minent la société ivoirienne. Il nous a accordé un entretien à l’occasion de la présentation officielle de son livre, paru aux éditions Les Amis du Livre et disponible en librairies. L’avocat ivoirien inscrit au barreau de New York nous parle d’immigration américaine. Et de la réélection de Donald Trump.
Votre livre est à cheval entre roman et récit. Comment devrait-on le qualifier ?
Un récit, c’est en quelque sorte un nom générique des différents genres narratifs. Il peut s’agir d’un conte, d’une nouvelle, d’un roman. Moi, quand j’écrivais ce livre à un âge aussi jeune, à 18 ans, je pensais plutôt à un roman. C’est l’éditeur qui a préféré l’appeler récit. Mais dans mon entendement, c’est un roman.
Les thèmes sont multiples : délinquance, immigration, amour, philosophie. Pourquoi autant de thématiques mélangées ?
Quand on parle de la vie d’un individu, il y a plusieurs aspects qui viennent en même temps dans son évolution. C’est pour cela que tous les faits de société qui entourent la vie d’un homme. Ou d’une femme caractérisent ce personnage et font son histoire. Cette histoire-là peut être connotée sous de multiples thématiques.
Question philosophique posée par votre récit. Doit-on s’apprêter à faire tous les sacrifices, même les plus ignobles, les plus immoraux. Quand on veut arriver à un objectif de bonheur ?
Non, on n’est pas obligé de commettre ces actes pour arriver à ce qu’on recherche.
Mais c’est aussi un trait caractéristique du chemin que certains peuvent emprunter pour atteindre leur bonheur. Malheureusement, on constate que beaucoup de personnes choisissent cette voie dans la société. Ils pensent que la fin justifie les moyens, et donc ils font des choses atroces pour y arriver. C’est ce que je voulais souligner.
À 18 ans, qu’est-ce qui vous a inspiré une telle histoire ?
À la base, étant petit, j’étais dessinateur. Ma mère, qui avait cette fibre du dessin, me l’a transmise. Je faisais beaucoup de dessins et de caricatures. J’étais reconnu pour ça dans le quartier où nous vivions à Abidjan à l’époque. Au lycée, mon professeur de Lettres, ami d’Amadou Koné (auteur de Les frasques d’Ebinto, Le respect des morts, NDLR), l’a invité un jour à nous parler de son expérience d’écrivain.
Il a expliqué que les faits de société étaient sa source d’inspiration. Cela a été un déclic pour moi. Je me suis dit : « Je fais déjà des bandes dessinées. Sais ce qui se passe dans la société en observant les faits de société. Il m’est possible de transcrire ces histoires en récit ».
C’est ainsi qu’en vacances, après la classe de Seconde, j’ai décidé d’écrire. J’ai écrit ce texte en trois mois. Et j’ai gardé le manuscrit pour le publier là où j’allais vivre, sachant que j’allais travailler aux États-Unis. Une fois là-bas, il fallait me consacrer à l’essentiel : la formation, le travail, l’intégration.
Aujourd’hui, ayant réalisé tout cela, je suis un peu libre par rapport à mon travail aux Nations Unies. Et j’ai trouvé le temps de publier ce manuscrit vieux de 40 ans. J’ai sorti ce livre en prélude au film que je prépare.
Tout ce que je peux dire pour le moment, c’est que c’est un drame juridique qui se déroule à New York.
À l’instar de votre personnage principal, au départ nourri de bonnes intentions et de valeurs, doit-on, comme vous semblez nous dire, faire attention à l’humain. Dans sa capacité à basculer dans la radicalité à tout moment ?
D’abord, il faut se rappeler de Descartes qui disait : “Les grandes âmes sont capables des plus grands vices”. Cela veut dire que tout individu, à tout moment, peut basculer dans le mal. L’entourage devient alors le plus important à considérer. Si vous frayez avec des gens qui ne font que de mauvaises choses, il y a de fortes chances que vous basculiez dans ces choses. Je veux attirer l’attention des jeunes sur l’importance de savoir choisir son entourage.
L’amour que vous décrivez dans le livre semble dénué de sens logique. Pourquoi ?
Vous savez, l’amour véritable existe. Et c’est malheureux que certains en profitent pour faire du mal à cet amour là. C’est en fait cela ! L’amour pur existe, et c’est ce que je voulais présenter.
Comme vous, le personnage principal a migré en occident sans qu’on sache son devenir. Vous, vous avez réussi votre intégration socioprofessionnelle aux USA. Au fond, le livre est-il un détourné de votre parcours ?
Non, d’aucune manière. Parce qu’à cette époque, je n’étais pas encore aux États-Unis. J’avais 18 ans, j’étais au lycée. Je n’avais même pas encore foulé l’Europe. Cela n’a rien à voir avec ma vie. C’est une simple fiction écrite sur la base de faits de société.
Vous dites avoir écrit ce livre à 18 ans, c’est-à-dire il y a 40 ans. Mais quand vous décrivez la scène de l’immigration, le réseau emprunté, c’est exactement ce qui fait aujourd’hui l’actualité de l’immigration irrégulière et clandestine…
Mais cela a toujours existé ! La seule différence, c’est qu’avant, avec un passeport ivoirien, on pouvait entrer en Europe ou aux États-Unis sans visa. Ceux qui n’avaient pas les moyens de travailler ici allaient dans les pays du nord de l’Afrique. Pour travailler, se faire de l’argent et traverser.
Quels étaient les thèmes sociaux qui couraient dans la société à cette époque-là, au moment où vous écriviez ce livre ?
C’était la délinquance des jeunes, avec le phénomène des nouchis et autres. C’est là que cela avait commencé, dans les années 80. Puis, on voyait aussi les difficultés de ceux qui avaient étudié mais n’obtenaient pas de travail. On voyait comment ils pouvaient dégénérer.
Est-ce que vous pensez que ces thématiques-là, aujourd’hui, ont une résonance, même 40 ans après ?
Toujours ! C’est comme si rien n’avait changé dans notre société. Ce sont les mêmes problèmes qu’on rencontre.
D’agent de sécurité au siège des Nations Unies, vous êtes aujourd’hui un avocat inscrit au barreau de New York. Vous êtes un symbole du rêve américain. Un commentaire ?
Oui, j’étais responsable de la protection des personnes et des biens pour les Nations Unies en 1994. Après, je suis allé en mission à Haïti en 1995 où j’ai élaboré des programmes, des plans d’évacuation, etc. Ce cheminement montre que je suis parti du bas de l’échelle. Il faut retenir que peu importe comment on commence, il faut faire l’effort pour atteindre le but qu’on s’est fixé. C’est ça le plus important. Je voulais montrer qu’avec mon parcours, c’est en orientant toutes ses facultés vers un seul but qu’on peut produire le maximum d’efficience. Donc, je voulais que ma vie soit un témoignage pour ceux qui ont des rêves. Ce n’est pas facile, mais rien n’est impossible.
Interview réalisée par
HARON LESLIE
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE