L’art subtil du pouvoir : quand le rassemblement des opposants s’effrite
La pratique du pouvoir en Côte d’Ivoire, notamment celle du RHDP démontre une capacité singulière à miner l’opposition. A l’affaiblir, voire provoquer l’implosion des partis d’opposition.
Hier l’exemple de Mamadou Koulibaly, fondateur du parti Liberté et Démocratie pour la République (LIDER). Aujourd’hui, celui de Pascal Affi N’Guessan, actuel président contesté du Front populaire ivoirien (FPI), sont révélateurs de ce mécanisme subtil de déstabilisation.
Mamadou Koulibaly, brillant économiste et ancien président de l’Assemblée nationale, a vu le parti qu’il avait lui-même fondé, LIDER, lui échapper entre les mains. Victime de fractures internes, LIDER est passé d’une entité ambitieuse à une structure marginalisée sur la scène politique ivoirienne. L’influence et la pression indirecte exercées par les manœuvres politiques du pouvoir ont contribué à cette érosion.
Pascal Affi N’Guessan, de son côté, n’a pas créé le FPI certes. Il a rejoint ce parti longtemps après sa fondation par Laurent Gbagbo, l’ancien président ivoirien. Pourtant, il est aujourd’hui à la croisée des chemins.
Le FPI, longtemps divisé entre ceux qui soutiennent la ligne dure de Gbagbo et ceux qui prônent une approche plus modérée, s’apprête à élire un nouveau président. Ca sera lors de son 5e Congrès ordinaire prévu les 8 et 9 novembre 2024 à Yamoussoukro.
Affi, après 23 ans de leadership incontesté, pourrait perdre la présidence du parti. En cause ? Une révolte interne orchestrée par des figures influentes du FPI, soutenues en coulisses par une subtile orchestration du pouvoir en place.
Le professeur Pierre Godé, candidat déclaré à la présidence du FPI, incarne cette fronde.
Le fait que ce dernier ait déposé sa candidature, mettant ainsi fin à une longue tradition de candidature unique, témoigne de l’ampleur de la crise qui couve au sein du parti. La réorganisation récente menée par Affi, où il a destitué plusieurs cadres influents comme Diabaté Beh et Pierre Godé, accentue cette fracture interne.
En réorganisant la direction du parti, Affi espérait solidifier son contrôle, mais il semble plutôt avoir attisé les tensions.
La crise actuelle au sein du FPI est profondément liée aux relations ambivalentes avec le RHDP. Affi, qui avait maintenu un partenariat stratégique avec le parti au pouvoir, a récemment rompu ce lien, déclarant ce partenariat “caduc”.
Pourtant, plusieurs membres influents du FPI, désormais évincés, prônaient le maintien de cette alliance avec le RHDP, percevant une collaboration avec le parti au pouvoir comme un atout stratégique dans un environnement politique dominé par le RHDP.
Le jeu subtil du pouvoir n’est pas étranger à cette situation.
En encourageant ou en exacerbant les divisions internes, le parti au pouvoir, sans forcément intervenir de manière directe, donne un coup de pouce à la chute d’Affi.
Laurent Gbagbo, lui-même, avait qualifié le FPI d’”enveloppe vide”, soulignant l’érosion de la substance idéologique du parti sous la présidence d’Affi. Une telle description, venant du fondateur, alimente la fronde interne et fragilise encore davantage le président sortant.
L’enjeu du 5e Congrès ordinaire est donc crucial : Affi pourra-t-il résister à cette tempête politique ou devra-t-il céder sa place ? Le rôle du RHDP, bien qu’en coulisses, semble omniprésent dans cette recomposition politique. En facilitant, même indirectement, la montée de challengers comme Pierre Godé, le pouvoir en place pourrait bien contribuer à la chute d’un opposant historique. Laissant le FPI fragmenté et affaibli.
La dynamique à l’œuvre illustre parfaitement une leçon clé de la politique ivoirienne contemporaine. Dans un environnement dominé par une majorité écrasante, l’opposition n’est pas seulement affaiblie par des luttes internes. Mais également par l’influence discrète, mais efficace, du pouvoir en place.
Les élections à venir seront décisives pour l’avenir du FPI, mais surtout pour le paysage politique ivoirien dans son ensemble.
JULIEN BOUABRE
photo:dr
POUVOIRS MAGAZINE
