La veille de la visite du Pape en Belgique, Jean Marc Turine, écrivain dénonce les crimes sexuels de l’Eglise

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Le Pape sera en visite en Belgique du 26 au 29 septembre. Plusieurs victimes d’abus sexuels commis au sein de l’Eglise ont décidé de rendre publique une lettre adressée au pape François. Parmi ces victimes, l’écrivain Jean­ Marc Turine, aujourd’hui âgé de 78 ans, qui était de passage à Abidjan au dernier SILA en mai de cette année. Nous vous proposons son texte au Pape.

Votre Sainteté,

Cher Monsieur,

Vous comprendrez aisément qu’il ne nous soit pas facile de prendre la plume aujourd’hui. Sachant très bien que le sujet que nous souhaitons, que vous souhaitez aborder lors de votre visite en Belgique fin septembre 2024. Les crimes sexuels commis au sein de l’Eglise catholique, ne fait pas consensus parmi ses représentants.

Convaincus que vous faites partie de ceux qui veulent que les prises de position soient beaucoup plus tranchées, nous avons décidé de vous envoyer cette lettre.

Dans un esprit constructif. Afin de contribuer à ce que votre voyage en Belgique reste marqué dans l’histoire comme ce moment décisif où le premier des catholiques s’adresse à toutes les victimes de tous les pays du monde (puisque c’est bien ainsi que s’est voulu et se veut le catholicisme, universel ) en les invitant à prendre la parole et témoigner dans le cadre d’une instance internationale extérieure à l’Eglise.

S’il est vrai que vous avez contribué à la reconnaissance de ce désastre au fil de votre pontificat, nous considérons que beaucoup reste à faire au sein de l’Eglise. Même si dans notre cas, nous tenons à souligner le remarquable travail réalisé par la Compagnie de Jésus.

En particulier par ses provinciaux successifs pour la Province francophone de l’Europe occidentale, François Boëdec et Thierry Dobbelstein.

Bien que vous vous soyez à plusieurs reprises emparé de ce sujet avec clarté et force de conviction, jamais vous ne vous êtes adressé à nous les victimes. Ou plus exactement les survivantes et les survivants dans notre ensemble. N’est-­il pas temps d’envoyer au monde cette précieuse missive dont tant de vies brisées ont besoin, souvent sans même qu’elles le sachent ?

Outre ce premier acte épistolaire – la diffusion d’une lettre s’adressant à toutes les victimes de membres de l’Eglise catholique, partout dans le monde – nous nous permettons, puisque vous nous y invitez, de mentionner un certain nombre de tâches. Permettant de construire un agenda, un plan d’actions et une feuille de route destinés à cette future instance internationale.

Car cette rencontre de Bruxelles ne doit pas clore une histoire. Mais ouvrir enfin, parce que tellement nécessaire, un véritable chemin de libération par la parole ou par des écrits, pour des centaines de milliers d’êtres humains.

La première de ces tâches est de donner à tous les Evêques un mandat leur proposant de mettre en place dans leur Evêché un travail de fond, avec tous les protagonistes concernés, sur les crimes passés et présents.

Une manière constructive de sortir de la logique journalistique peu productive du donne­ nous ­les noms.

Si un travail de terrain est exigé depuis « Rome », le grain et l’ivraie se sépareront très naturellement. Dans ce travail à installer au sein de chaque Evêché, des initiatives concrètes peuvent être menées.

Prendre le temps de personnaliser les demandes de pardon semble nécessaire pour respecter les survivantes et les survivants qui prennent le risque d’affronter le regard des autres en témoignant.

Initier un lieu de mémoire et d’accueil où des professionnels pourraient entendre les histoires de chacun. En respectant la part de spiritualité essentielle pour beaucoup de victimes abusées spirituellement par delà les tortures physiques et mentales.

La deuxième tâche consisterait à construire avec tous les ministères de l’Education d’Europe et d’ailleurs un véritable travail d’information. Travail de prévention et de formation des personnels enseignants, laïcs et religieux. Afin de renforcer le travail de libération de la parole, qui n’en est en réalité qu’à ses balbutiements.

Le pourcentage de victimes qui ont témoigné est encore beaucoup trop faible. Pas plus de 5 %, et notre devoir commun est de le faire monter de façon exponentielle dans les années à venir.

La troisième tâche porte sur la clarté d’un financement spécifique. Visant à assumer la politique revendiquée de réparation financière, comme faisant partie intégrante. Malgré sa dimension nécessairement insuffisante, d’un processus de réparation beaucoup plus profond. Un processus spirituel qui peut parfois prendre toute une vie, et n’est certainement pas mesurable.

Le nombre vertigineux de victimes partout dans le monde oblige néanmoins à un travail concerté d’estimation, de chiffrage et de faisabilité.

La quatrième tâche porte sur la question du célibat des prêtres, qui n’explique évidemment pas la totalité du problème. Mais qui est assurément une difficulté majeure pour certains d’entre eux. Or un prêtre fragilisé est un homme qui peut dériver jusqu’au pire, la négation même de son engagement d’homme d’Eglise.

Il est urgent que l’Eglise organise une réflexion de fond sur ce sujet, en lien avec les sociétés civiles, pour arriver à certaines conclusions. Dont la plus plausible serait de laisser le choix à chaque homme de robe. Il n’est plus possible aujourd’hui de nier l’importance de la sexualité dans le « fonctionnement » humain. Comme il n’est plus acceptable que la sexualité demeure un péché ou un unique organe de reproduction.

L’Eglise ne peut pas dans le même temps condamner l’homosexualité. Ou l’avortement et ne pas exclure de ses rangs – .sans attendre un verdict de la justice des hommes. – tout auteur d’actes pervers et abjects qui ont brisé, souvent jusqu’à leur mort, la vie de tant d’enfants abusés.

Dans le village de Tinjacá, Boyaca, en Colombie, le prêtre de la paroisse vit maritalement avec une femme, qui l’aide à réaliser un remarquable travail de terrain. Même situation à Hermeton, dans les Ardennes belges.

Les faits, les faits de la vie humaine devraient pouvoir permettre aux Chrétiens de trouver une voie. Laquelle ne les mettent pas inutilement en contradiction avec leur foi.

Lorsque vous pénétrerez dans l’enceinte du Collège Saint ­Michel à Bruxelles, derrière ses hauts murs austères il vous faudra reconnaître. Comme nous l’avons fait nous-mêmes tout au long de notre cheminement. A la fois l’excellence formatrice de ce lieu et de ceux qui l’habitent. Et dans le même temps la terrifiante machine à détruire de jeunes vies qu’il était censé protéger. Renforçant encore l’intuition terrible du philosophe Walter Benjamin : il n’y a pas de document de culture qui ne soit dans le même temps témoignage de barbarie. Saurons-nous un jour sortir de cette dualité mortifère, pour enfin honorer la vie ?

Comptez sur toutes nos forces pour défendre la vérité, sans laquelle il n’y a pas d’humanité.

Respectueusement et fraternellement, Il va de soi que cette lettre est écrite au nom de toutes celles et tous ceux qui ont connu les pires crimes commis à l’encontre d’enfants. Enfants confiés à des personnes attachées à l’Eglise catholique, hier et aujourd’hui  : le viol.

JEAN MARC TURINE, écrivain

photo: POUVOIRS MAGAZINE

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POUVOIRS MAGAZINE

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