Peut-on, objectivement, parler d’une dictature des réseaux sociaux numériques ?

2 semaines

N’Drin Neuba Serge Docteur  en Science de l’Information et de la Communication propose  un texte , une opinion sur les réseaux sociaux

La question des réseaux sociaux numériques reste complexe, car ils se déploient autour de cinq pôles fondamentaux. Les fondateurs, les émetteurs, la technologie, les contenus, et les récepteurs. Ainsi, il est crucial de comprendre que la problématique de la « dictature » des réseaux sociaux numériques repose sur une question d’influence. Formulée ainsi : qui contrôle qui, ou quoi, et comment ? La pertinence de cette question émerge de l’influence grandissante des réseaux sociaux numériques. Ou de leur « incontournabilité » (Kacou & N’Drin, 2023, p.86). Cette dynamique modifie et reconfigure les pratiques sociales, tant individuellement que collectivement, dans les sociétés contemporaines. Les arguments pour ou contre l’idée d’une dictature des réseaux sociaux numériques sont divers et nombreux. Et cet article se penche sur certains des plus significatifs.

Quelques arguments en faveur de l’idée d’une dictature des réseaux sociaux numériques

La question du contrôle de l’information est centrale dans les arguments en faveur de l’idée d’une dictature des réseaux sociaux numériques. Les fondateurs, ou propriétaires, qui sont souvent des individus. Ou des groupes influents, exercent un contrôle considérable sur les utilisateurs par le biais des contenus diffusés. Ce contrôle est rendu possible par les algorithmes. Qui régulent la visibilité des informations et déterminent ce que les utilisateurs voient. Les algorithmes, comme l’explique Gonzalo (2021), sont conçus pour attirer. Et retenir l’attention des internautes le plus longtemps possible. Ils modèrent et amplifient certains contenus, ce qui contribue à instaurer une forme de pouvoir autoritaire, parfois perçu comme dictatorial.

L’influence croissante des réseaux sociaux numériques sur l’opinion publique est indéniable, et cette influence s’exerce principalement via les algorithmes. Ces derniers exposent les usagers à des contenus qui renforcent leurs croyances préexistantes ou modifient leurs perceptions sociales et morales. Cette manipulation conduit souvent à une polarisation accrue des points de vue, favorisée par des bulles informationnelles que les algorithmes amplifient. Ces bulles enferment les utilisateurs dans des échos de leurs propres opinions, renforçant ainsi une dynamique de manipulation.

En plus de la manipulation des contenus, la diffusion de fausses informations — ou désinformation, mésinformation, et malinformation — est fréquente sur les réseaux sociaux numériques. Souvent délibérées et anonymes, ces pratiques relèvent d’une stratégie de contrôle de l’information. La culture de l’instantanéité des réseaux sociaux accroît encore leur emprise sur les utilisateurs, en sollicitant constamment leur attention. Cette emprise psychologique s’accompagne d’un pouvoir de censure exercé par les propriétaires des plateformes, qui se réservent le droit de supprimer des contenus qu’ils jugent inappropriés. Cela pose des questions fondamentales sur la liberté d’expression et le droit des utilisateurs à partager leurs opinions librement.

Quelques arguments contre l’idée d’une dictature des réseaux sociaux numériques

Cependant, la notion de dictature des réseaux sociaux numériques ne se limite pas aux risques liés à leur influence croissante. Ces plateformes offrent également de nombreuses opportunités de connexion, d’expression, et de partage, contribuant ainsi à enrichir le tissu social. Cardon (2011) parle de ces opportunités comme de « promesses » encore insoupçonnées pour des domaines variés tels que la culture, la communication, la politique, la sociabilité, l’économie, et même le bien-être personnel.

Les réseaux sociaux numériques facilitent les échanges et le maintien des liens entre les individus, tout en offrant un accès élargi à l’information technique et sociopolitique. Par exemple, un patient peut consulter un médecin à distance via Skype, ou obtenir des informations sur sa santé à partir de plateformes spécialisées. Les professionnels peuvent échanger et collaborer indépendamment de leur localisation géographique, ce qui favorise de nouvelles formes de coopération. De même, les étudiants peuvent suivre des cours en ligne depuis chez eux, sans se déplacer dans une salle de classe traditionnelle.

Les réseaux sociaux numériques jouent également un rôle clé dans la participation citoyenne au débat démocratique. Ils offrent un espace où les citoyens, quel que soit leur statut ou leur position, peuvent s’exprimer librement et défendre leurs idées. Le printemps arabe est un exemple marquant de la manière dont ces plateformes ont pu soutenir des mouvements démocratiques. L’accessibilité des réseaux sociaux est donc essentielle pour garantir la liberté d’expression, ce qui va à l’encontre de l’idée d’une dictature.

En vérité, les réseaux sociaux numériques, tout comme la technologie en général, n’imposent rien directement. Comme l’affirme Balle (2004, p.5), ils proposent des outils et des espaces, mais c’est à l’utilisateur de les exploiter ou de les adapter à ses besoins. C’est pourquoi la question des droits des utilisateurs est de plus en plus au centre des préoccupations des organisations de la société civile et des gouvernements. Ils cherchent à promouvoir une éthique numérique équilibrée, garantissant à la fois liberté et contrôle.

En guise de conclusion :

Il reste difficile de répondre de manière définitive à la question de savoir si les réseaux sociaux numériques exercent une dictature. Cette question est complexe, nuancée, et dépend largement du contexte dans lequel elle est posée.

Dans l’interaction dynamique entre l’influence des plateformes numériques et la liberté humaine, les fondateurs, émetteurs, technologies, contenus, et récepteurs jouent tous un rôle clé. La question de la dictature des réseaux sociaux numériques met en lumière plusieurs défis que la société moderne doit relever pour équilibrer contrôle et liberté.

N’Drin Neuba Serge Docteur  en Science de l’Information et de la Communication

photo: dr

POUVOIRS MAGAZINE

 


Références

  • Balle, F. (2004). Les médias. Paris, PUF, coll. Que sais-je ?
  • Cardon, D. (2011). « Réseaux sociaux de l’Internet ». In Communications, n° 88, Seuil, pp. 57-65.
  • Certeau, M. (1990). L’invention du quotidien, Arts de faire. Paris, Gallimard.
  • Gonzalo, F. (2021). Les algorithmes des réseaux sociaux : explications et fonctionnement. Disponible à lien
  • Kacou, D. & N’Drin, N. (2023). « Les réseaux sociaux numériques et la gouvernance démocratique en Afrique ». Dans Perspectives philosophiques – Actes du colloque international pluridisciplinaire, p.77-92.
  • N’Drin, N. (2022). Usages des réseaux sociaux numériques chez les internautes ivoiriens : une nouvelle forme de société civile au service de la bonne gouvernance en Côte d’Ivoire (Thèse de doctorat inédite). Université de Cocody-Abidjan, Côte d’Ivoire.

 

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