Camara Nangala n’est plus. La nouvelle de sa mort survenue aujourd’hui dimanche 12 novembre 2023, a été annoncée par le Bureau exécutif de la Mutuelle pour le Développement de la Sous-préfecture de Fronan (MUDEF) sa région d’origine.
Les organisateurs du Sila ont sinon bonne conscience du moins la conscience tranquille. Ils ont eu le nez creux en effet de faire en mai dernier, se porter à temps, leur choix du Prix Bernard Dadié 2023 avec « Parcours » sur cet auteur qui le mérite amplement, pour avoir été 12 mois avant, l’écrivain à l’honneur de ce même salon coordonné par le commissaire général Ange N’Dakpri.
Physiquement diminué, Camara avait laissé trainé, avec le courage de ceux qui ont déjà vaincu la mort, sa silhouette affaiblie recouverte d’un tee-shirt blanc orné d’un col bleu. Des cheveux blancs coiffaient sa tête. Son filet de voix était ferme, mais il parlait moins, économisant son souffle pour autres choses certainement, posant son regard vitreux sur cette foule, affamée d’eux: sa signature et lui.
A l’aide d’un tampon, il marquait de son sceau, les livres qu’il avait écrits et que les admirateurs, jeunes comme vieux, voulaient qu’il dédicace. Il accordait un avis favorable à cette sollicitation.
L’homme savait garder la distance avec la foule. Il était pour le Sila, venu de Fronan. Là-bas, à 400 kilomètres au nord-est d’Abidjan, mais à seulement 7 de Katiola, l’homme s’était retiré dans son village. FRONAN. Il y avait bâti une résidence pour ces vieux jours, afin de savourer sa retraite professionnelle anticipée prise en 2008. Mais en réalité, il n’avait pas de repos. Il était hyper sollicité comme l’avait été Zadi Zaourou, Séry Bailly ses écrivains généreux, ses enseignants qui offrent aux élèves ce qu’ils ont de mieux: leur esprit. Camara Nangala a sillonné la Côte d’Ivoire et a prononcé en moyenne, 52 conférences suivies de dédicaces par an. Passionné du beau, il avait parqué dans sa résidence, outre ses livres, ses objets d’art, à l’instar de cette lampe de chevet en forme de Kora avec seulement une portion des 21 cordes requises, et avec aussi en guise de tige, un bâton de Kabato (purée de maïs). Et aussi son Calao, animal mythique du peuple Sénoufo. Et de là-bas, de Fronan, il avait poursuivi la construction de l’Ivoirien qui lui tint à cœur, à cet enseignant doublé écrivain.
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Parce qu’il concevait la formation sur la base de l’instruction, de la culture, de la morale et de l’éthique, 4 axes fondamentaux, le milieu universitaire venait le chercher comme ça été le cas avec l’Université polytechnique du Hambol qu’il avait dirigé pendant 2 ans. Le milieu scolaire aussi venait toujours le chercher pour se performer. Et Camara accepta volontiers d’être utile dans le nord pour offrir et mettre à disposition des jeunes, ses savoir, savoir-faire et savoir être. Et l’homme savait être simple et servir d’exemples aux jeunes du nord. Tout comme à ceux du sud, au Collège Notre Dame de la paix. Là-bas, à la Riviera-palmeraie à Abidjan, il avait réussi en qualité de Directeur pédagogique, à asseoir un modèle expérimental qui tient aujourd’hui encore la route dans cet établissement devenu un motif de fierté, après avoir timidement mais méthodiquement commencé par une classe de 6e d’une trentaine d’élèves, en dépit de la proximité (300m) d’un autre établissement de référence, à savoir le Collège St Viateur. Ces événements s’étaient déroulés de 2014 à 2018. Précédemment l’homme avait réussi, en seulement deux ans, à redorer le blason de l’Institut prestige de Toumodi en en faisant un modèle expérimental. S’il était tant recherché, c’est parce que ce pédagogue avait eu une expertise acquise d’abord à Katiola, où il était retourné, puis à Man, ensuite à Dabou, avant d’atterrir au Collège Notre Dame des apôtres, devenu Notre Dame du Plateau. L’homme y avait officié pendant 30 ans sans démériter dans une administration catholique. La qualité de son expertise, de son encadrement avait permis chaque année aux élèves de ses classes de première, d’obtenir par anticipation, sans difficulté le baccalauréat. 100% de réussite.
L’homme avait glané beaucoup d’autres prix littéraire mais y attachait trop peu d’importance. L’intérêt était ailleurs. Ailleurs dans la réconciliation avec lui-même. C’était un écorché vif proche, très proche de ses idées.
Le 10 novembre 1955, à Katiola, nait de Koné Potchiedanlan (ils ne sont pas faciles en Tagbanan) ménagère et de Camara Lohonan (le garçon de l’eau en Tagbana) Joseph, instituteur qui s’est négocié par la suite, une reconversion en mécanicien dieseliste, un petit garçon. Il est le quatrième d’une fratrie de 7. Un mois plus tard, soit le 10 décembre de la même année, il reçoit le baptême et porte le nom de Pierre Camara Nangala (Nangalaha : Quand je ne serai plus vous serez tranquille nom Tagbana attribué au Diseur de vérité).
Il entreprend sa formation scolaire à Epp Catherine Amon d’Aby du nom d’une institutrice épouse de l’écrivain ivoirien à qui l’on doit « La couronne aux enchères » un drame social en trois actes et 6 tableaux. L’enfant est précoce et à 9 ans, il tient un journal intime et se passionne pour les livres. Déjà. Se passionne également pour une chose en voie de disparition : la vérité. Il poursuit sa formation en qualité de collégien à l’Institut sacré cœur d’Adjamé où il intervient dans le journal de l’établissement. Il affine son écriture à St Viateur de Bouaké avec comme condisciple, les ministres Bruno Koné, Joel N’Guessan. Mais aussi N’Guessan Blé qui chaussera Jean Baptiste Akrou en guise de nom de plume. Après le Bac, il part à Paris où il suit des cours d’électronicien au centre scientifique d’Orsay. Il renforce et étoffe sa formation en obtenant un diplôme d’ingénieur technico-commercial.
Mais le virus de la lecture et de l’écriture ne le lâche pas. Il continue d’écrire et l’idée lui vient de se faire publier. Il propose son recueil de poèmes de 52 pages Mélancolie qui sort en 1980 aux éditions Arcam. S’en suivent Monotonie puis Médiocrité et le roman Révélation.
De provenir d’un univers non littéraire, scientifique offre une singularité et une discipline à ses textes, comme on l’a déjà vu avec Ahmadou Kourouma, assureur de formation mais Goncourt des lycéens et Renaudot en 2000. Pour lui, l’art et la littérature doivent humaniser les sciences. Et la science doit proposer sa rigueur aux lettres pour en faire de véritables sciences sociales.
Une écriture prospective
Ayant les sensations olfactives, auditives, tactiles, visuelles à fleur de peau, Camara Nangala est ouvert, en accord avec la nature, à/sur tout ce qui est susceptible de se muer en projet littéraire.
Un jour de passage devant la décharge d’Akouédo une perfide odeur de putréfactions ou d’autres choses taquine puis indispose ses narines. Tout en marchant, un projet littéraire le bouscule. Dans son cerveau, des gamins s’installent et découvrent que le père de l’un d’eux sert d’intermédiaire pour héberger des déchets toxiques. Les jeunes gens mettent en place un plan pour faire échouer le plan. Il en fait une fiction « Vacances mouvementées ». Quelques années plus tard on découvre le scandale de Probo Koala.
Dans son roman Le printemps de la liberté, il annonce la rébellion et elle a effectivement lieu en 2002.
En 2013, il publie « Dévoilement », roman dont la dernière phrase est : « le propre d’une rébellion c’est qu’elle mange toujours ses propres enfants ». Le désamour entre les alliés d’hier donne raison à cet écrivain.
Ces textes sont tellement prémonitoires qu’on est tenté de croire qu’en 2025, ou 2030, la Côte d’Ivoire sera gouvernée par une dame. C’est en tout cas la trame narrative du tome 2 de « Procès dans les entrailles de la terre » sorti le 10 mai 2022 à 15h aux éditions Afrique reflets. Ce tome 2 présente une jeune dame, Ozoua qui fait de sa lutte en faveur de l’environnement et de sa protection, sa tasse de thé, sa priorité. Un concours de circonstance fait qu’elle se réveille un matin réclamée via les réseaux sociaux par le peuple qui finit par l’inviter à se présenter à la présidentielle et par l’élire.
Le Tome 1, est tiré et inspiré du mémoire de Master 2 en Sciences politiques de l’auteur avec pour thème : « Ethique en économie et développement durable ». C’est un procès intenté par les animaux contre les humains qu’ils jugent à cause de leur atteinte intempestive à l’environnement. On accède de plusieurs façons dans ce récit animalier : par l’actualité, par le récit des animaux qui en font un conte, par la fiction, L’épilogue de ce roman est un pied de nez des animaux à l’endroit des humains. Les animaux se gardent de condamner les coupables aux fins de les transformer en porte-parole de l’environnement
C’est clair, Camara Nangala ne s’accommode pas de ce monde et de ses vertus alors il écrit sans cesse : « Certains se droguent, d’autres boivent de l’alcool pour se sentir bien. Moi c’est l’écriture qui m’apaise. J’écris pour vivre, j’écris pour espérer. ». Pour ne pas cesser d’espérer, l’homme ira jusqu’à créer sa propre maison d’édition Calao, pour contourner les obstacles sur son chemin et rester au contact de son lectorat.
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Auteur de 35 livres, auréolé de plusieurs prix dont le prix Kailcedra avec La princesse Ebla, livre de jeunesse, l’auteur n’a pas fini, dans ses fictions, de prévenir la réalité, de jouer avec les idées. Ce n’est pas étonnant que plusieurs de ses ouvrages soient au programme dans les lycées et Collèges. Il se tient loin, très loin de politiques à qui il réduit le rôle de façonneur de conscience sur le peuple avec un franc parler. Normal, les scorpions ne savent pas mâcher leurs mots.
A l’aide d’écrits il aura éclairé les mentalités du lectorat composé justement des membres de la cité. Et c’est à ces derniers que le politique, porteur et conducteur d’un projet de société qu’il est censé mettre en application, en leur faveur, vient soumettre ses idées parce qu’il a besoin de leurs suffrages. Les idées du politique se frottent et se confrontent à la réflexion des citoyens, lesquels sont forgés, nourris par les propositions fictionnelles de l’écrivain, Camara Nangala homme crédible et au-dessus de la mêlée.
Né un 10 novembre, il s’est allé un 12 novembre.
La rédaction de POUVOIRS MAGAZINE présente ses condoléances à ses familles biologique, professionnelle, littéraire.
ALEX KIPRE