Livre: Gbidi Roland enjolive Abobo

2 ans

« Pour la vie de gosse, les rues et ruelles d’Abobo recèlent de trésors faramineux, de jeux et d’amusements. C’est une terre du peuple avec des rues qui grouillent de gens qui bougent incessamment.

C’est du moins, ainsi que je la vis tout de suite, du haut de mes culottes courtes et de mes bottines de randonneur refréné. Pour des enfants de année quatre-vingts que nous étions, c’était « La terre des anges », celle de nos rêves les plus fous de férus de football ». A priori, la trame de ce roman est des plus banals. Ça ne paye pas de mine, comme ça ne tient à rien : les aventures d’une bande de gosses en vacances scolaires, une année de la décennie 80, dans leur populaire quartier, entre exploits aux Komités de foot, apprentissage de la vie ( leurs béguins puérils, leurs façons à eux de dompter la fringale) et expériences humaines ( mise en scène de personnages atypiques familiaux et familiers de leur quartier « le village » , où l’humain est au centre des rapports sociaux). Bref, c’est la narration du train-train quotidien de gais lurons. Une telle histoire, les gens de cette génération pourrait la raconter de mille façons. Gbidi Roland, lui, ne nous la livre pas de manière quelconque. Il nous la fait remarquablement vivre, dans un récit croustillant, étonnamment entrainant. D’où la facture singulière de ce roman à la culture léchée et à la littérature emballante.
Attachant, familier, drolatique

Les événements se déroulent à Abobo. Des cités universitaires de Sogefiha à la gare face à la mairie, en passant par la gendarmerie, le cinéma de l’Etoile, le Ciné-Cool. « La terre des anges », ce sont les aventures du Futur FC avec le policé coach Zahui et son adjoint déjanté affrontant les différents Komités. Ce sont aussi les escapades de gosses désargentés au cinéma heureux de vivre les actions de leurs héros (Bruce Lee, Cynthia Khan, Jymkatta , Clint Eastwood, John Wayne) avec leurs ouïes , planqués dans un coin. Ou aussi le rituel matinal des beignets de Mawa la vendeuse du quartier, ou chez le vendeur de garba Haoussa…. Dans « La terre des anges », l’ancien agent de la mairie de Cocody nous promène avec une dextérité narrative dans ses souvenirs de gosse de 12 ans à Abobo. Le temps présent par lequel ce récit passé est conjugué place le lecteur tout près de l’action. Pour ce dernier, littéralement captivé et baladé par cette fringante écriture familière, le parcours de ce livre est un voyage de sensations en plongée dans ces petites histoires chapitrées.. La vie de ces pré-pubères est vécue passionnément. Il y a l’idylle platonique de Roland et Stacy, la petite go du quartier. Il y a la plantureuse Bomo , objet de tous les fantasmes. L’auteur originaire de Guibéroua croque également les tours de sa sœur Solange et lui pour se sortir de la surveillance rigoureuse des parents. Les affaires de larcins et de commérages des pipelettes du « village » tiennent agréablement le récit en haleine. Ainsi va la joyeuse et truculente épopée de Roland et ses « ga’s » Méma, Salif, Pacôme bété, Pacôme baoulé, les jumeaux Kevin et Kelvin , Atélo… Des moments de bonheur pour ces gosses dans ce Abobo des années 80 où l’imaginaire et la conscience se forge autour de héros badasses et d’idoles simples. « Rien qu’à entendre parler de quartiers tels Gotham, Kennedy, Marley, Kaza et son avenue, Zion, Désert…ou des personnalités aux sobriquets pleins de panache comme John Pololo, Saxon Muller, Végas, Saint-Sim, Awell, Koki et Kata ou encore Kakato, on ne pouvait qu’être enlevé et rêveur. Ces derniers n’étaient nullement des angelots, mais ô combien ils paraissaient beaux et attachants, avec leurs styles haut en couleurs et leurs manières de durs à cuire qui nous transportaient dans les méandres d’un Brooklyn made in Eburnéa », décrit Gbidi de leur environnement d’anthologie qui fleurera bon la madeleine de Proust pour le gens de cette époque. Au plus jeunes, les descriptions d’Abobo, « cité verte » ces année-là , avec ses quartiers phares, seront une belle photographie de l’histoire et de la géographie aujourd’hui décatie de la commune totalement transformée.

« La terre des anges », c’est 317 pages d’une fresque enjouée, drôlement peint avec une maitrise certaine. Un indicatif utilitaire sur la formation culturelle et les intérêts des gosses de l’époque sur la base de certaines activités telles que les bouquinages tarifés (des Bédé de Tarzan Zambla, et autres lectures jeunesse) chez les vendeurs de revues. Sous un autre angle sociologique, ce livre est une plongée nostalgique dans la douce vie abidjanaise, de ces année-là dans nos quartiers où l’on vivait vraiment ensemble, où le malheur des uns étaient le problème du voisin et où le partage, la cohésion sociale sans distinction d’ethnie ni d’origine était une réalité. A l’aune de cette belle vie abobolaise que narre Gbidi Roland, voir ce qu’est devenue Abobo aujourd’hui, avec ses multiples problèmes sociaux de coexistence pacifique, est un mont de regrets, qui nous interroge sur ce que nous avons fait de cet héritage. Les valeurs littéraires, culturelles, sociologiques, historiques de cette œuvre sont de nature intéressante pour les jeunes dans nos lycées et collèges. « La terre des anges » est un récit inspiré à divers titres qui rappelle la bonne vieille éducation parentale et scolaire d’antan, une ode à l’amitié vraie, à la fraternité, un beau spectacle de l’humain simple. C’est l’hommage d’un vieux gosse à ses amis, personnages exceptionnels d’une enfance heureuse aux valeurs perdues.

Une œuvre inspirée

« J’ai fait un rêve où je me suis retrouvé dans les rues de mon quartier d’enfance à essayer d’y revivre. », s’épanchait à nous l’auteur. Dépit d’une existence contemporaine d’antivaleurs ? Besoin impérieux d’une psychanalyse réconfortante par cette plongée dans le passé ? En tout cas, ce dont Gbidi nous assure – et qui reste insoupçonné entre ses lignes – , c’est que l’écriture de cette histoire a été pour lui « une archéologie personnelle ». Formule littéraire pour évoquer le drame familial à relent religieux qui a fait s’effondrer par la suite le monde merveilleux du gosse heureux qu’il fût. Marqué à jamais par cette tragédie, Gbidi a écrit là-dessus pour se guérir. Ainsi des origines de ce livre résultat d’une fouille intérieure torturée. Peindre ce majestueux tableau au fondement d’une tragédie familiale est le mystère encore produit par l’écriture. Et là, la littérature est sublime quand elle est salvatrice, rédemptrice et thérapeutique, pour autant qu’elle soit bien maitrisée comme c’est le cas ci chez Gbidi Roland qui est arrivé à atteindre d’émotion nos cœurs de lecteur. Si écrire un roman n’est pas à la portée de tous, on pourrait juste là bénir Gbidi Roland qui – peut-être à son corps défendant- s’est transcendé pour nous transporter aussi agréablement dans cette histoire fantastique. « Le renoncement de Damas », son second roman annoncé.

Leslie Bâ

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