Danse contemporaine : Equation paroles et geste  pour Noah Léonce « Gbô la légende »

2 ans

En  formation en France depuis deux ans, Konan Allui Noah Léonce alias Gbô la Légende -membre de l’ancien duo de la compagnie Ye-fihmoa avec Sanga Ouattara- poursuit son exploration du corps et des espaces de créations après l’obtention de son Master 2 de fin d’étude au Centre Chorégraphique National de Montpellier Occitanie en juillet 2022. En résidence d’écriture au centre Honolulu de Nantes fin mai 2022, le jeune artiste de 35 ans, issu d’Abobo, qui a abandonné l’école en classe de 5ème (2002-2003) pour se jeter corps et âme dans la danse- est actuellement  pensionnaire de Rester.Etranger, centre d’hospitalité et de développement artistique basé à Saint-Denis (Ile-de-France) fondé en 2017 par la chorégraphe écrivaine et poète Barbara Manzetti. Ce samedi 3 décembre 2022, Noah Léonce performera sa pièce DéZolé du XilenCe au Lieu Unique à Nantes dans le cadre du festival Le Grand Huit d’Honolulu.

Noah Léonce dans sa performance (crédit photo Marc Coudrais)
Noah Léonce dans sa performance (crédit photo Marc Coudrais)

Noah Léonce dans sa performance (crédit photo Marc Coudrais)

Cette pièce DéZolé du XilenCe  est  pour le poulain de la chorégraphe haïtienne Kettly Noël (installée depuis des lustres à Bamako au Mali) le manifeste de son étude chorégraphique hexagonale.  Un univers  généré par un langage hétérolingue mêlant un peu de Baoulé, sa langue maternelle, modérément du  français et passionnément du  nouchi, argot ivoirien dans lequel baigne cet artiste produit de la street urbaine de Babi (Abidjan).

Travailler sur l’écrit et les gestes du quotidien, pour modifier les espaces et la constante transformation du corps avec les idiomes Nouchi et Baoulé : voici donc le propos artistique  fondamental à la base de l’univers artistique de Gbô la légende, pur produit de Varietoscope et  des multiples danse  urbaines  inventives qui ont fait et qui continue de faire la particularité de la scène pop-culture ivoirienne. Récemment, Noah Léonce a eu une longue discussion avec Barbara Manzetti et sa collègue Barbara Coffy-Yarsel dans le cadre de la publication  par Rester.Étranger (qui est aussi une  maison d’édition) du « Journal de Léonce » « pièce littéraire indisciplinée, libérée, indissociable de la performance DéZolé du XilenCe. ». Les deux auteures et l’artiste questionnent  le travail de ce dernier qui s’est livré  à fond le  cœur.

Barbara Coffy-Yarsel : Léonce, tu parles souvent du geste simple. Est-ce à partir de ça que tu construis ton travail performatif ?

Léonce Noah : Oui, c’est à partir de ça, de cette simplicité que je veux performer. Le geste simple est pour moi la chose la plus simple, un peu comme le passage de l’avion, mais qui laisse des traces. Il décolle, il survole, il va faire un bruit tout simple, qui dérange. Voilà le geste simple, on ne va pas chercher la chose plus loin, parfois elle est à côté. Par exemple, Je soulève une palette, je la trimballe dans l’espace, ensuite je la pose et je monte dessus, je prends mon téléphone je fais une photo, je médite un moment sur des musiques, ensuite je me rhabille, je pars dans la douche, je lave mon visage, je descends directement, je vais dans la cuisine, je prépare un café et c’est avec ces pensées, cette façon de faire que je fais, j’agis le geste…

Barbara Coffy-Yarsel : J’ai l’impression que ton travail s’attache à créer des passages entre l’extérieur et les lieux de résidence, de spectacle, mais aussi des passages du geste de l’écriture au geste performatif. C’est cette circulation-là que l’on voit et que l’on ressent quand tu performes. Concrètement, à Nantes, je me souviens d’un poème que tu as écrit et qui était comme la trame de ce que tu as fait ensuite pendant la performance. Il s’appelait « pose le corps ». C’est un poème que tu as écrit dehors, dans la rue.

Léonce Noah : Pour moi ça ne commence pas, ça ne finit pas. La performance s’adapte à tout lieu, elle bouge avec le moment, se façonne avec le moment, se modifie, elle se pose dans l’espace comme elle le sent, avec sa liberté. Je l’ai signifié dans mon premier mémoire, Le journal de Léonce, où je parlais de l’imprévu du prévu, qui est ce qu’on nomme in situ.

Barbara Coffy-Yarsel : Ça pose la question de la liberté qui reste ou subsiste à l’intérieur de ces cadres-là. En ayant vu la captation il y a un an, dans l’atelier Buffard du CCN-Montpellier, puis celle de cette année dans le studio Bagouet, il y a une transformation immense dans la manière dont tu appréhendes la forme. Et pour moi, je trouvais la forme initiale plus forte, car la deuxième a dû prendre en compte toutes ces contraintes dont tu parles. Il y avait une certaine forme de domestication qui m’apparaissait, puisqu’il n’y avait plus toutes les palettes, parce qu’il y avait un parquet dans la salle de danse qu’il ne fallait pas abîmer. Est-ce que tu peux nous dire ce qu’il en est de la part de liberté dans ce processus?

Léonce Noah : L’année dernière le titre provisoire était Frou-frou, qui parlait du désordre organisé. Le titre frOu-frOu fait lien avec le frou-frou qui est un tissu qui se portait pendant les années 70’ et lors des danses baroques. Par contre, chez nous frou-frou est un beignet fait avec de la farine de haricot mélangée avec du piment, c’est tout un désordre d’ingrédients qui compose à la fin un beignet très succulent.

Le mot frou-frou est aussi utilisé dans des moments de crise où on va dire : ah, ça va gâter eh, on va faire frou-frou eh, il va y avoir des palabres, on va faire des manifestations, et c’est tout un désordre qui va se faire. Cette année, il fallait absolument me contrôler. J’ai dû prendre sur moi ce fardeau, car je voulais jouer dans un endroit et on m’en a proposé un autre. Ce que la politique artistique veut voir, je suis allé tranquillement dedans. Toutes les séquences sont voulues, c’est ma manière à moi de dire que la rue peut se poser dans le théâtre, peu importent les contraintes, elle finira par se placer. J’ai décidé de la scénographie.

Il y a eu des moments de mésentente, sur la lumière, sur certaines scènes, on m’a dit qu’il y avait rupture. Mais pour moi il y a toujours des liens. Ça m’a permis de voir comment je peux être dans un théâtre avec ma performance. C’était la chose la plus forte. Dans les répétitions, je ne reprenais jamais ce que je faisais, d’où les palabres avec les techniciens : il faut aller dans l’imprévu du prévu.

Moi j’ai prévu l’imprévu, vous n’avez pas prévu ça, donc ça fait un imprévu pour vous. Si tu as vu la répétition tu ne reverras pas les mêmes choses en public. On dit la boîte noire, mais pour moi le théâtre est la boîte blanche. Je vais la façonner, la déjouer, mettre beaucoup d’éléments dans la sauce, remuer-remuer pour faire sortir quelque chose.

Il y a un passage dans mon journal qui dit celui qui n’a pas été vu, celui qui n’a pas été énuméré. J’essaie de voir celui qui est de l’autre côté, celui qui n’est pas énoncé dedans. Parce que les gens paient un ticket, iels ont déjà tout sur une feuille de salle, iels savent ce qu’iels viennent voir. On laisse le public avec un imaginaire. C’est paradoxal par rapport à ce que la politique publique nous dit, de l’imaginaire, de la métaphore.

Le gars qui sait déjà tout n’imagine rien. J’essaie d’imaginer ce que serait un spectacle sans titre. Ce serait au spectateur de donner un titre à ce qu’iel a vu. Nous, en tant qu’Africains qui quittons notre continent, sommes dépaysés. Nous prenons tout ce temps pour nous intégrer, lutter, faire un moule pour appréhender les choses, c’est beaucoup nous demander. Il faut que le regard d’ici bouge, parce qu’il est statique et il nous fatigue. On peut être dans un espace imposé par la politique culturelle occidentale, mais il faut qu’elle sache qu’on peut la déjouer à notre sauce, on peut la coloniser.

Comment regarder ce qu’on n’a pas l’habitude de voir. L’année dernière, on m’a beaucoup corrigé l’orthographe, les majuscules pour respecter l’autorité de l’Université, j’ai mis le U en majuscule. J’ai dit, chez moi, il n’y a pas de préambule, pas de début, pas de fin.

Barbara Manzetti : J’étais témoin à certains moments d’une forme d’infantilisation de ton travail. Est-ce le problème du passage d’un continent à l’autre ? La colonisation qui se poursuit ? Cette manière de t’adresser la parole en se baissant, en inclinant la tête comme si on parlait à un enfant, en te répétant c’est très bien, c’est très bien.

Léonce Noah : Tu as déjà répondu à la question. On nous demande à nous, jeunes artistes africains, on ne nous demande pas les mêmes choses qu’aux autres, nous on doit se justifier. Le corps noir performatif doit se mettre dans l’espace, je l’ai vécu dans cette formation, c’est toute une vie, le corps noir doit toujours continuer de lutter pour se mettre dans l’espace.

Je commence à en avoir marre. On nous met dans une case. On nous met dans une boite noire. Tout le monde est content de dire « la boite noire ». Quand le gars, il change de couleur, quand je dis la boite blanche, tout le staff technique s’est déplacé. Je ne veux pas faire partie des artistes africains qui vont subir. Je vais continuer de me battre. Olivier Marbœuf disait que la danse contemporaine en occident a un comportement mortuaire.

Quand toi le jeune Africain tu viens tu fais BA ! BA ! CHA ! CHA ! tout le monde est apeuré. Il faut prévenir sur l’affiche que ah je vais faire du bruit. Les jeunes artistes africains sont fatigués de se justifier à chaque geste, à chaque écriture. Lorsqu’on vient en Europe et que l’on parle notre langue, tout doit être traduit. On est un corps qui a été déporté, déposé, ruiné, dépouillé, ensuite embelli…

Pouvoirs-Magazine

 

 

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