D’où vous est venue l’idée de film « Sans regret » ?
En regardant autour de nous, on s’aperçoit que la vie est belle, que les gens sont merveilleux mais parmi ces merveilles, il y a aussi des gens qui souffrent et cravachent pour vivre ou survivre. Parmi eux, il y a des femmes, des jeunes mais aussi des pères de famille qui courent toute la journée et même parfois toute une vie, de petit boulot en petit boulot sans jamais réunir assez pour soi-même et les siens. À mon avis, la chose la plus dure pour un père, c’est de dire régulièrement à son fils : « Je ne peux pas ».
Quelles sont les portions empruntées à votre propre vie ?
Tous les noms du film sont empruntés à des proches. L’histoire du film m’a été inspirée par un monsieur, docker de son état, qui louait une petite chambre à 10 000F par mois. Il y habitait avec sa femme enceinte, sa petite fille et son beau-frère âgé de 30 ou même 35 ans. Très tôt le matin, ce docker partait à pied de Yopougon au port d’Abidjan pour ne revenir que très tard dans la nuit, toujours en marchant. Sa souffrance m’était insupportable. C’est la part vraie et réaliste du scénario. J’ai beaucoup observé ce monsieur et je me suis demandé quel serait son choix, s’il était face à un dilemme : «Respecter ou non la loi » pour pouvoir entretenir sa famille. Le reste n’est que pure imagination.
Vos acteurs Bruno Henry et Michel Bohiri jouent en perspective. Cela relève-t-il de la direction d’acteurs ou d’autres choses ?
Le jeu des comédiens et la direction d’acteurs étaient dans le scénario. J’écris de manière très détaillée. Tous ceux qui lisent mes scénarios ressentent l’atmosphère de l’histoire que j’explique ensuite aux comédiens. La vraie direction d’acteurs, pour moi, se trouve dans la préparation avant tournage. Les impressions du comédien après la lecture du scénario me permettent d’affiner la direction d’acteurs pendant le tournage.
Qui a dirigé les acteurs dans les scènes physiques, de combat par exemple ?
Si vous connaissez bien les arts martiaux… C’est le cas… Vous devez donc comprendre que le réglage d’un combat n’est pas l’aspect le plus difficile. J’ai eu et dirigé un club de taekwondo pendant six ans (de 1986 à 1992) à Levallois Perret, dans une banlieue de Paris et je pratique cet art martial depuis la classe de 4e.
La scène des soins prodigués à Gaston (Bohiri) par Tantie Choco (Prisca Maceleney) suggère autre chose. Avez-vous voulu épargner nos acteurs ou frustrer les téléspectateurs ? Quelle est votre conception de l’érotisme ?
Non, je ne cherchais pas à frustrer les spectateurs, mais je pense que les scènes d’amour sont plus fortes suggérées que montrées. J’aurais beaucoup de mal à filmer une scène érotique parce que l’érotisme est pour moi du domaine privé. Par contre, le charme est plus attractif.
La musique est un acteur sérieux, quelles sont les raisons du choix de Meiway et Espoir 2000 ?
La musique est un décor sonore et doit être considérée comme un élément de réalisation. Elle doit pointer l’atmosphère d’une scène ou l’état psychologique d’un personnage à un moment précis du déroulement de l’histoire. La chanson de Meiway accentue la détresse de Gaston à qui le contremaître vient d’annoncer qu’il n’y avait plus de travail pour lui. Connaissant au préalable la situation financière de Gaston, nous ne pouvons que compatir à sa détresse. La chanson de Meiway, que je remercie au passage, même sans le sous-titrage, rendait le personnage de Gaston sympathique. Car cette musique permet de pénétrer dans l’univers de Gaston. « Sans regret » n’a fait qu’illustrer la musique d’Espoir
- En général, certaines chansons Zouglou peignent fidèlement notre univers social.
Votre film pose un lourd problème moral car finalement, l’essentiel est de rendre les siens heureux. La manière importe-t-elle peu ?
Si l’on prend l’acte de Gaston tout seul sans l’associer au contexte de son histoire, on peut effectivement se poser la question de la morale. Après avoir vu Sans regret au Festival international du film de Marrakech, Edgar Morin, philosophe et sociologue français, a dit que Gaston, père d’une famille démunie, est brusquement amené à devenir un malfaiteur dans le but de sauver les siens. Une question se pose : Qu’est-ce que la vraie morale ? Est-ce obéir à la loi ou est-ce, en priorité, sauver la vie des siens? En droit, le choix de Gaston est considéré comme un crime de nécessité. Gaston a agi par nécessité, par besoin. Loin de moi l’idée de faire l’apologie du crime.
« Sans regret » peut être perçu comme une mise en examen du capitalisme et ses implications. Je me trompe ?
C’est cela même ! On court tous après le gain. Le but, c’est d’amasser le plus d’argent possible tandis qu’autour de nous, des gens se meurent par manque du minimum vital. Le monde se mondialise alors que l’homme se déshumanise.
C’est quoi pour vous réussir sa vie, finalement ?
Réussir sa vie, c’est réussir pour les siens et les autres qui en ont besoin. Être heureux au milieu de malheureux n’a rien de glorieux.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma?
L’observation des choses de ce monde.
Le cinéma ivoirien peut-il rebondir ? Comment ?
Le cinéma ivoirien est comme tous les cinémas d’Afrique et d’ailleurs. Il a besoin de moyens. Avec les réalisateurs et les comédiens que nous avons, on peut réaliser des films de belle facture. La plupart du temps, la qualité d’un film dépend de son budget de production.
INTERVIEW RÉALISÉE PAR ALEX KIPRÉ
Pouvoirs-Magazine