Opinion: L’Houphouetisme face au spectre de la guerre

1 an

De l’impossibilité de prédire l’issue d’une guerre CEDEAO-NIGER, et du chaos qui pourrait s’en suivre

par Philippe Pango, Ph.D

IF … THEN … ELSE … GO TO … END : Ces quelques mots anglais m’ont marqué dès mes premiers cours de programmation informatique. Cette séquence de codes informatiques, on la retrouve dans quasiment tous les langages de programmation. Essentiellement, de sont des mots-clefs qui servent à codifier le comportement d’un programme informatique, et anticiper sur l’éventualité d’une situation donnée.
Si les programmes informatiques peuvent aisément être guidés vers des embranchements connus et programmés à l’avance, il est loin d’en être de même pour … la guerre. On sait toujours quand, pourquoi, et comment une guerre est déclenchée. Mais au grand jamais, ne sait-on avec certitude quel serait son déroulement ou son dénouement.
La guerre change de forme dans son déroulement et sa durée, l’attaquant peut devenir défenseur, dit Hervé Guineret dans son essai philosophique (Claussewitz et la Guerre, p.25 à 43). C’est en vertu de ce principe, indiscutable, que tout bon Général américain, même à la tête de l’armée la plus puissante du monde, s’applique toujours à conseiller son donneur d’ordre (le Gouvernement) sur l’imprédictibilité de la guerre vers laquelle on l’envoie.
Si vous le voulez bien, essayons un instant de coder, que dis-je, d’embrigader le scénario d’un programme informatique dénommé « AFRIQUE DE L’OUEST : CEDEAO vs. Putschistes du NIGER ». Comme les informaticiens le font, essayons donc de coder et prédire le déroulement de ce conflit qui pour l’instant, n’est qu’au stade de concept. Ça donne à peu près ceci.
SI (if)
        • CEDEAO attaque NIGER
ALORS (Then)
        • Burkina et Mali entrent en guerre contre Etats CEDEAO, à savoir Cote d’Ivoire, Nigeria, Togo, Benin, Sénégal, Gambie, etc.
        • Burkina et Mali font des incursions punitives dans le Nord de la Côte d’Ivoire, Guinée fait de même par l’Ouest
        • Russie et Wagner s’invitent dans la région et soutiennent les putschistes Ouest Africains, ou se contentent de leur fournir des armes, comme le fait l’Occident en Ukraine
        • Le Niger s’enlise dans un scénario de désintégration à la Lybienne
        • Les Djihadistes en profitent pour s’infiltrer un peu plus au Sud et créer la chienlit un peu partout
        • Burkina, Mali, Guinée, Niger, Wagner financent des opérations de déstabilisation dans les pays de la CEDEAO ayant attaqué le Niger, y compris la Côte d’Ivoire et le Sénégal
        • Guerre et instabilité généralisée dans la sous-région
        • La menace djihadiste arrive aux portes de l’Algérie
        GOTO END
DANS LE CAS CONTRAIRE (Else)
        • Les Putschistes restent en poste à Niamey
        • Les négociations continuent
        • La CEDEAO perd un peu en crédibilité
        • Le Niger fait copain-copine avec la Russie
        • La sous-région ne s’embrase pas
END (fin du programme)
En conclusion, vous l’aurez compris, le scenario « CEDEAO attaque NIGER » est selon moi celui qui se rapproche le plus d’un scénario catastrophe, de par la multitude de ramifications incertaines que pourrait prendre le programme AFRIQUE DE L’OUEST.
Le prix à payer en vaut-il la chandelle ?
Notre région n’en est pas à son premier coup d’état, et la tendance indique que malheureusement, celui du Niger pourrait ne pas être le dernier non plus. Il est en effet un fait indéniable que les régimes putschistes sont en général, les plus susceptibles de connaître eux-mêmes des coups d’état. Alors pourquoi tant s’émouvoir cette fois-ci ? Au nom de la défense de la démocratie dans un pays voisin ? Cet argument me parait incohérent. Si on ne l’a pas fait pour la Guinée, pour le Mali, et pour le Burkina, pourquoi faut-il que ce soit cette fois-ci, dans le cas du Niger, que la CEDEAO prenne (enfin) les armes ? Qu’y a-t-il de nouveau pour que l’équation soit différente cette fois-ci, si ce n’est l’égo des uns, et la menace des intérêts des autres?
Pour ma part, je ne prendrais pas le risque de mettre MON pays à feu et à sang pour dit-on « la défense de la démocratie dans la sous-région ».
Nous ne sommes qu’aux balbutiements d’une nouvelle guerre froide qui frappe à la porte de l’Afrique, et qui pourrait être très longue, aussi longue que la précédente, ou même déboucher sur une guerre mondiale. Comme dans les années juste après les indépendances, chaque pays aura sa trajectoire, et devra faire ses propres choix. A l’époque, des africains se sont entretués pour l’affirmation du type de « Maître blanc » qu’ils désiraient avoir, les uns se disant Capitalistes, et les autres Marxistes-Léninistes. Oui, les africains se sont entretués, pour avoir bêtement permis que leurs états soient le théâtre d’opérations de guerres que se livraient les « maîtres blancs », par pays interposés.
Durant cette période très trouble pour les Etats Africains, Houphouët l’a joué en finesse, se déclarant non-aligné, même si son choix était évident. Il a développé cet art de souffler à la fois le chaud et le froid. Sa diplomatie souterraine réussissait à tisser des liens au-delà des barrières qui existaient entre les occidentaux eux-mêmes. Dans une même année, il pouvait accueillir le Président Français Giscard d’Estaing en visite officielle, puis le Roumain Nicolae Ceaușescu, venu tout droit du bloc de l’Est. Quand les Présidents les plus fougueux du continent appelaient à une guerre ouverte contre le régime d’Apartheid Sud-Africain, Houphouët y envoyait plutôt un Ambassadeur africain noir (feu Laurent Dona Fologo), ayant une blanche comme épouse. Houphouët accueillait ouvertement une ambassade Palestinienne sur la terre ivoirienne, tout en déclarant son soutien à l’Etat d’Israël. Comme un crocodile, il savait faire le mort, et dormir que d’un œil, pour toujours se tirer d’affaires.
Aujourd’hui, les « maîtres blancs » sont tous capitalistes, Russie incluse. Même la Chine n’est communiste que de nom. Elle ne distribue plus le petit livre rouge de Mao à sa jeunesse, plus préoccupée de posséder un iPhone ou de s’exhiber sur TikTok. Dans notre sous-région, il ne s’agit donc plus de faire des choix idéologiques. L’enjeu de la nouvelle guerre froide est économique. Mais la menace reste la même : nos pays vont-ils, encore une fois, servir de théâtre d’opérations de guerres qui ne sont pas les nôtres ? Serons-nous les coqs qui se feront piétiner par deux éléphants qui se bagarrent pour la conquête du monde ? En termes simples : l’Afrique de l’Ouest sera-t-elle la prochaine « Ukraine » ?
Ce serait donc une erreur de se laisser prendre au piège de l’émotion circonstancielle, et se dicter une ligne de conduite s’appuyant sur le seul cas du « Putsch du Niger ». Non, il ne s’agit pas du Niger, mais d’un enjeu plus global, qui requiert une réflexion et une posture globales, sur ses effets à long terme.
Le corolaire de ce conflit global, c’est aussi le choix qu’il nous est demandé de faire quant aux régimes qui nous gouverneront : militaires ou civils. Ce sont des choix propres aux populations de chaque pays, car un peuple a toujours les dirigeants qu’il mérite. Nous ne ferons pas mieux que les Nigériens eux-mêmes, qui comme tous les peuples du monde, peuvent prendre leur destin en main et chasser du pouvoir qui ils veulent, et quand ils veulent. La communauté internationale, CEDEAO incluse, ne peut que les accompagner diplomatiquement dans leurs choix.
Comme ce fut le cas à la chute du Bloc de l’Ouest au début des années 90, on fera un jour le bilan de cette seconde guerre froide. A l’heure du bilan, l’on saura qui des peuples militarisés à la sauce Russe, ou disciplinés dans le carcan du moule occidental, aura fait le bon choix ; qui aura le meilleur niveau de vie, qui aura les meilleures infrastructures hospitalières, qui fournit le plus de candidats à l’immigration, qui a les meilleures infrastructures routières, etc. Laissons le temps au temps, sans vouloir l’accélérer par des coups de canon hâtifs, et l’histoire nous dira un jour qui a eu raison, et qui a eu tort.
Je suis houphouétiste.
Comme Houphouët, je m’arrange toujours pour que le train du développement de MON pays continue d’avancer, sans jamais s’arrêter, même quand je serais entouré de pays chroniquement instables, connaissant des coups d’état à répétition, comme l’ont été à l’époque le Niger, le Burkina, le Mali, le Libéria, et même le Ghana à une certaine époque. C’était ça, la ligne directrice d’Houphouët-Boigny dans les années 60, 70 et 80, durant la précédente guerre froide. Houphouët s’est toujours arrangé pour influencer le cours des événements, diplomatiquement, en tirant ses ficelles à distance, sans jamais bouger le moindre doigt, ou du moins sans en avoir l’air.
Je vous entends déjà dire « Mais c’est injuste pour les pauvres Nigériens qui avaient démocratiquement élu leur Président ». Oui, c’est injuste. Mais je vous rétorque que « ça va leur passer ». Oui, c’est injuste pour les Nigériens, comme ça l’est aussi pour les maliens et les burkinabés, qui ont régulièrement élu un des leurs, pour le voir se faire dégommer par les armes avant la fin de son mandat. Mais comme Houphouët, je préfère l’injustice au désordre, désordre sous-régional cela s’entend, surtout quand ce désordre risque fortement de déteindre sur le territoire de mon pays.
En effet, à la question « Qu’aurait fait Houphouët dans une telle situation », la réponse est tellement évidente. Je vous redirige vers ses deux citations les plus connues :
– La paix, ce n’est pas un vain mot, mais un comportement
– Le dialogue, c’est l’arme des forts.
Houphouët n’a JAMAIS été partisan des va-t-en guerre, car il le savait : en cas de guerre généralisée, le pays le plus beau, le pays le plus en paix, le pays le plus développé, est celui qui a le plus à perdre. Les autres, ceux qui même après le n-ième coup d’état de leur histoire, ont du mal à se défaire de la culture du coup d’état salvateur, eux ils sont déjà « cabri mort ». Jamais Houphouët n’alimenterait militairement un conflit qui potentiellement, peut embraser la sous-région, y compris le sien.
Retenez ceci : calmons un peu notre égo et notre fierté, certainement exacerbés par des conseillers militaires du genre béni-oui-oui qui prédisent des victoires éclairs à leurs Présidents, et reconnaissons humblement que nos états sont tous fragiles, tous sans exception ; ne jouons pas à ce jeu là. Négocions avec les putschistes, et amenons les à s’engager dans un calendrier précis de retour du pouvoir aux civils dans les plus brefs délais, comme on l’a toujours fait.
Diplomatie est le maître mot, parce que, IF THEN ELSE … END.
Philippe Pango, Ph.D
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