Coup de marteau, les pseudo années de carrière vide, Jean Ebo….Adolphe YACÉ dit tout

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Vendredi 12h 30, costume bleu profond, chemise rose éclatante, Timberland montantes — ouvre une porte entre passé et avenir. Il raconte, après avoir proposé une eau à fort titre en éthanol, au fil d’une conversation entamée devant les 3 guitares de son frère Evariste Yacé, non pas ses défunts frères mais l’horizon musical, le devenir pour cicatriser l’imbroglio politique, et tracer le chemin d’un musicien devenu directeur de l’ESMD après son retour des États-Unis…

Dans le bouillonnement créatif du studio Yacé Brothers, Adolphe Yacé, arrangeur visionnaire, parle reggae, gospel, musiques traditionnelles, mais surtout convictions. Rencontre avec un musicien qui défie les lignes toutes tracées, repousse les genres, et pose la question qui dérange : qu’est-ce qu’un vrai musicien aujourd’hui ?

Pouvoirs Magazine : Tu travailles aujourd’hui avec des artistes qui ne sont pas des musiciens professionnels. Qu’est-ce que cela t’inspire ?

Adolphe Yacé : Ça m’interpelle. Ce sont des passionnés, oui, mais avec un vrai talent. Ils ne courent pas après la gloire, l’argent facile ou une photo avec un ministre. Ce sont des gens investis, sincères. À l’inverse, il y a cette « fausse élite » musicale : ceux qui font un album, disparaissent 15 ans, puis reviennent fêter « 15 ans de carrière ». Sérieusement ? Ils n’ont ni trajectoire, ni discipline, ni stratégie. Ils sont juste passés, comme des touristes.

PM : Où te situes-tu toi, dans tout ça ?

AY : Je bosse. Je suis dans mon studio, j’arrange du reggae, du gospel – comme le groupe Chocolate – ou des fidèles comme celle de l’Église La Tendresse. Aucun d’eux n’est dans une démarche commerciale ou opportuniste. Ce sont des artisans du son, et ça, ça me parle. Je m’attaque aussi à des projets plus audacieux : des musiques d’inspiration traditionnelle que je fais entrer dans des univers house, funk, dance. Je finalise actuellement une bande sonore pour Doumalé, une compagnie de danse dirigée par Yao Nikoko. Il y a là un vrai terrain d’expérimentation.

PM : Tu sors de ta zone de confort ?

AY : Complètement. Avant, j’étais dans une logique d’arrangeur « classique ». Aujourd’hui, je me cherche de nouveaux territoires. Je suis convaincu qu’une musique traditionnelle peut cohabiter avec un beat house ou funk. C’est même nécessaire si on veut sortir d’un folklore figé. Regarde ce qu’a fait John Yalley. Il a travaillé avec des Européens, des Asiatiques, qui ne comprenaient rien à notre esthétique… et c’est précisément ça qui a créé son originalité.

« Penser une musique baoulé comme extra-jazzy, c’est ça l’avenir. C’est de là que peut naître la richesse. » AY

LES GUITARES DE
EVARISTE YACE

PM : Aurais-tu défendu cette vision avant ton séjour aux États-Unis ?

AY : Honnêtement ? Oui. Mais je ne l’assumais pas totalement. J’avais des intuitions, des convictions, mais aucun repère. Mon voyage m’a permis de valider tout ça. J’ai vu que cette logique fonctionnait à l’international. J’ai arrêté de douter. Je ne suis pas un rêveur, je sais où je vais. Je suis revenu pour continuer ce que j’ai commencé, mais en mieux structuré.

PM : Est-ce qu’il y a un risque dans cette prise de liberté esthétique ?

AY : Évidemment. Mais chaque tube est aussi un potentiel flop. Regarde le tube « hi life » de Wally Badarou, il sort un instrumental à une époque où seuls les morceaux chantés cartonnent. À l’époque, les gens sont sceptiques. Résultat : il devient culte. Pareil pour Coup de marteau de Tamsir. Ce morceau n’a pas été conçu pour la CAN. Mais il est sorti au bon moment, avec l’euphorie. Si ça avait été une autre période, ça aurait pu passer inaperçu. La musique, c’est du timing aussi.

PM : À ton retour des Etats-Unis qu’as-tu découvert sur la scène ivoirienne ?

AY : Une génération très solide. Des musiciens doués, travailleurs, qui peuvent affronter la scène internationale sans rougir. Je pense à Jean Ebo au piano, Isaac Badiel à la basse, ou Roger Pango que même Singuila a repéré. Ces gars ne sortent pas de nulle part. Certains sont passés par l’INSAAC, d’autres ont été formés par des mentors. Jean Ebo, par exemple, a été formé par Laurent Noah, pas par une école. Ce sont des autodidactes puissants.

PM : Une mention spéciale pour Dez Gad dans tout ça ?

AY : Clairement. On lui doit beaucoup. Il a créé un vrai laboratoire musical. Un lieu où les musiciens venaient s’exprimer librement, sans pression d’instruments, de transport, de budget. Ça a permis à beaucoup de se construire en dehors du circuit classique. Il a offert un écosystème d’apprentissage invisible mais essentiel.

PM : Dernière question. Quel regard portes-tu aujourd’hui sur la musique ivoirienne ?

AY : Elle est en mutation. Il y a les « anciens » qui célèbrent 40 ans de carrière sans production régulière, et il y a ceux qui bossent, qui tracent leur route dans le silence. L’avenir appartient à ceux qui créent et osent. Pas à ceux qui comptent les années.

« Je ne veux pas que l’Afrique soit la réserve folklorique du monde. Je veux qu’elle soit une fabrique d’esthétiques mondiales. » AY

Propos recueillis par ALEX KIPRE
Photos : DR

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